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064 – Le bien commun en question

La référence au bien commun qui vient de mode, entraine des tensions exacerbées entre des postures et positions qui en ont tenu lieu de substitut. En effet la dialectique – individualisme collectivisme – n’a cessé d’opposer deux réïfications (chosifications) : ce qui relèverait du seul bien individuel et ce qui relèverait du seul bien collectif, chacun étant posé comme contingent à l’autre. Toute une série de problèmes issus de postures posées comme d’évidence, réclament d’autres fondements anthropologiques.

Ainsi l’intérêt particulier est-il considéré comme opposé à l’intérêt général ou bien l’un comme subordonné à l’autre. Ainsi sont opposés le public et le privé, l’un étant par exemple sous le contrôle de l’Etat et l’autre se retrouvant soit comme refuge et droit individuel de propriété soit comme tentative d’appropriation individuelle du bien public.

Ainsi la république (Res Publica ou chose publique) est-elle interprétée soit comme l’appropriation par le domaine public du collectif soit comme la co-propriété des affaires collectives par les individus – étatisme ou démocratie.

Ainsi la convergence du bien individuel et du bien collectif est-elle dans la plupart des cas conçue comme l’aliénation de l’un par l’autre avec des «partis pris» qui se constituent en partis politiques prétendant à la défense du bien commun sous les formes variées d’une aliénation de l’homme individuel et collectif.

Il est vrai que les systèmes de pensée ou plutôt les modèles idéologiques avancés cherchent à résoudre dans le cadre de représentations mentales, de modèles formels supposés rationnels, la question qui échappe à ce mode de conscience, celle de la transcendance de l’homme dans la personne et dans les communautés de personnes (Sens et conSensus). De ce fait, ignorant ce qui est le bien de l’homme comme Sens de son accomplissement, Sens transcendant son existence et toute forme de bien existentiel (transcendant ne veut pas dire niant le bien existentiel), ignorant aussi que toute existence est communautaire et que le Sens du bien y est alors commun, ces modèles ne peuvent donner de contenu anthropologique aux termes bien et commun sans construire des antinomies antagonistes. La prétention au bien rate alors le plus souvent le Sens du bien commun et le dessert en y faisant obstacle. Ainsi, individualisme et collectivisme sont, aux travers de leurs différentes variantes, les principaux obstacles à l’émergence d’une conscience du Sens du bien commun et de sa culture selon toutes les formes du développement humain. La référence au bien commun trahit alors le Sens du bien commun.

Examinons ce que l’Humanisme Méthodologique éclaire de ces problèmes.

Bien personnel et bien commun

Le Sens du bien personnel (vocation) ne prend forme, existentiellement parlant, que dans une ou plusieurs communautés. Il y participe ainsi au conSensus et au Sens (partagé) du bien commun. Sur le fond c’est le même Sens mis en conSensus par les personnes et, dans la réalité existentielle, c’est la part prise par l’individu aux réalisations communes inspirées et orientées selon le même Sens. On notera que la personne ne se réduit pas à ce seul Sens ni à cette seule communauté. Dès lors, son bien ne se confond pas avec les seules affaires communautaires.

Il faut souligner ici que dans une communauté donnée le Sens du bien personnel est aussi le Sens du bien commun, il y a dans la communauté d’autres Sens qui ne sont pas celui du bien commun et par suite qui desservent tout bien particulier. Les nuisances publiques, l’intérêt général aligné sur celui de factions poursuivant non le bien commun mais quelque déviance opportuniste sont le lot commun de la vie collective. C’est le fait d’individus déviants tant par rapport à leur bien humain que par rapport au bien humain commun. Ainsi la liberté humaine, de nature humaine permet à la personne de s’engager dans un Sens qui n’est pas d’accomplissement et ainsi de participer, initier, ou suivre un conSensus divergent de celui du bien commun. C’est pour cela que, les positions de Sens,  individuelles impactant le conSensus, chacun est responsable non seulement de son destin mais de celui des autres membres de la communauté. A ce titre le devoir humain d’accomplissement personnel est strictement convergent avec la contribution à la culture du Sens du bien commun et réciproquement. Ce «devoir» est l’exercice d’une liberté à cultiver (liberté de Sens ou spirituelle) en même temps qu’il est respect des modes existentiels communautaires c’est-à-dire le bien commun. Inversement, la communauté signifie son engagement dans son Sens du bien commun au travers de ses modes politiques, économiques, éducatifs et toutes ses affaires communautaires et indique ce qui fera devoir pour qui s’y engage aussi.

Ainsi, la communauté, signifiant le bien commun, signifie les déviances et donc les délinquances en même temps qu’elle se dote des moyens et des dispositions pour éclairer et juger ce qui sert et dessert le Sens du bien commun. Elle manifeste alors son engagement dans des activités comme celle de la police ou de la justice. Il est vrai que si sous ces vocables il n’y a aucun discernement du Sens du bien commun, ou même, engagement dans d’autres Sens alors police et justice desservent à la fois le bien commun et le bien personnel. Les communautés engagées dans le Sens du bien commun se dotent peu à peu des repères, des autorités repères, des institutions orientatrices, des compétences de progression et de développement entendus dans ce Sens, et aussi des modes de gouvernance culturellement significatifs.

Alors qu’est ce que la propriété sous cet angle, dans le Sens du bien commun la propriété est le propre de chaque existant, individu comme groupe, ce «en propre» participe à «l’en propre» de la communauté. Le propre appartient indéfectiblement à celui à qui il est approprié. Pour autant il appartient indéfectiblement à la communauté à qui il est approprié comme tout ce qui concoure au Sens du bien commun. Ainsi ignorant le Sens et le conSensus comme sources de toute réalité et toute propriété on ne peut penser que dans l’exclusion ou dans un arrangement formel. Rappelons cependant qu’il ne peut y avoir de contrat que dans une communauté donnée selon ses règles que l’on peut espérer exprimer le Sens du bien commun. Les modes de co-appartenance individuelle et collective réclament une compréhension symbolique des biens et propriétés (expressions de Sens partagés). Sans les exclure les composantes affectives, matérielles ou utilitaires et formelles ne peuvent seules en rendre compte. C’est pourquoi les régimes basés seulement sur tel ou tel aspect sont, au fond toujours iniques.

Le privé ainsi renvoie au propre mais n’exclue pas le commun. Un bien privé n’est bien qu’en référence aussi au bien commun, propriété commune. Le bien public n’est que la considération communautaire des biens privés, pas leur séparation exclusive. Il en va de même avec les ensembles communautaires. L’opposition privé public comme leur séparation radicale sont une disqualification de l’humanité de l’homme, les systèmes fondés sur leur séparation ou leur antagonisme des anti-humanismes et les partis qui s’y définissent des nuisances publiques et privées.

L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers n’étant réductibles ni au nombre ni à une force, caractères propres du matérialisme. La prétention à dire l’intérêt général en référence à quelque conditions déclarées universelles n’est que la source des dogmatismes à visée totalitaire, ou leur tentative du moins. Il n’y a de général que du commun et du commun que d’une communauté donnée. Il est certains que les ensembles communautaires amènent à penser la communauté humaine dans son ensemble. Cependant il faudrait y rapporter une racine d’universalité au lieu même de l’humanité que chacun porte en lui-même, qui potentialise son être et que révèle son accomplissement, la visée même de son être. Pour parler au nom de l’universel dans le monde et y fonder une généralité il faut se faire témoin de cette humanité tout en reconnaissant la contingence culturelle communautaire donc de son expression. L’absolutisation du contingent, culturel et communautaire, est totalitaire. En déduire qu’il n’y a pas d’universel ni de principes généraux serait nier l’humanité de l’homme (relativisme) et ses multiples potentiels dont celui du bien s’il est commun. La visée de l’universel implique l’histoire et sa présence en l’homme. Elle récuse toute réification de l’un ou de l’autre tout en permettant heureusement les traductions dans les langages des multiples cultures communautaires. La république ainsi ne peut être universelle sans être totalitaire elle ne peut être que communautaire pour être au service du bien commun exprimant de façon singulière son témoignage de l’universel humain qui cherche à se révéler et donc s’accomplir.

La notion de service public

Sert ce qui contribue au bien commun et donc au bien particulier et réciproquement. Un service public qui ne sert pas le particulier dessert le bien commun. Un service public qui ne sert que le particulier dessert le bien commun. Tout service à une personne engagée dans une communauté de bien (commun) est un service public et tout service public ne peut être rendu que par des personnes particulières visant des particuliers. C’est donc un service particulier. La division service public – service privé est dans tous les cas un clivage de l’humanité, source d’antagonismes dévastateurs. S’il y a des organisations qui concourent au bien commun donc au bien particulier leur finalité en fait toujours un service public. C’est le cas de toute entreprise humaine concourant au bien commun dans une communauté. Un statut particulier ne se justifie que par des raisons culturelles et des modalités spécifiques de développement. Prétendre à un statut de nature universelle fait partie des entreprises totalitaires dont on n’a jamais vu qu’elles servaient ni le bien commun ni le bien particulier tout en affirmant le contraire.

L’Etat

L’Etat est considéré dans nombre de pays comme une institution nécessaire au service de la nation ou communauté. Il est vrai que la maturité d’une communauté passe par une certaine rationalisation des modes de vie et des règles de «l’éco-nomie». Cependant il est des cas où l’Etat domine la nation au nom de la Raison dont il se prétend maître tenant la société civile (la communauté) sous tutelle c’est-à-dire mineure. L’Etat doit être considéré comme l’établissement de règles, de modalités par lesquels la communauté organise son développement ainsi que tout ce qui contribue au bien commun. Cette «organisation» est un mode de gouvernance démocratique faisant appel à des ressources intra ou extra communautaire. Comme on l’a vu on ne peuy dissocier bien commun et bien particulier ni service particulier ou service public. Il n’y a aucune raison pour que les services d’Etat disposent d’un statut ou soient investis d’une vertu spécifique. S’il y a besoin de stabilités, de rationalités, elles sont culturellement et historiquement contingentes, liées au développement et à la vocation, communautaires. Ainsi donner à l’Etat un quelconque pouvoir sur la communauté est une entreprise à visée totalitaire qui place sa Raison (d’Etat) au-dessus de l’humanité des hommes, humanité qu’il ignore. Donner à différentes personnes et organisations particulières une mission de concours au bien commun suppose une gouvernance démocratique antinomique avec certaine conception de l’Etat. On objectera que le capitalisme nécessite une puissance d’Etat pour l’empêcher de nuire mais justifier une nuisance par la lutte contre une autre nuisance n’est qu’un raisonnement nuisible à l’humanité. Le Sens du bien commun, celui d’une communauté de référence et des ensembles communautaires (communautés), à toutes les échelles engage une conception de l’Etat contingente comme celle de la république, au service de la communauté c’est-à-dire de ses membres et pourquoi pas d’autres communautés. L’émergence d’un âge de l’humanité permettra de penser d’autres formes d’organisations communautaires que celle  d’un encadrement par une Raison d’Etat.

La reconnaissance du Sens du bien commun remet en question toutes les formes instituées de la vie communautaire et n’y échappent ni la démocratie, ni le politique, ni l’Etat, ni la loi, ni la justice, ni l’économique et encore moins l’éducation. Ils sont tous à refonder, c’est-à-dire aussi sortir des règlements de comptes idéologiques du passé pour les réinscrire dans l’humanité. L’orgueil des élites occidentales constitue un lourd handicap mais en même temps les bouleversements de la mutation de civilisation les montre souvent impuissantes, cellées dans leurs armures intellectuelles dépassées.

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