Après avoir exploré les dimensions et composantes de l’expérience première de la réalité et avoir resitué l’espace et le temps comme co-extensifs à cette réalité d’expérience humaine, il faut prendre un peu plus de recul pour considérer une réalité qui s’avère de part en part humaine. L’homme au centre des affaires humaines en commençant par le monde qui en est le lieu, lui-même affaire humaine, et l’existence individuelle bien évidemment ! Ce n’est pas une métaphore mais la révélation de l’humanité de l’homme au travers de la réalité.
Notons que cette «révélation» n’est pas nouvelle mais souvent peu lisible ou partielle et aussi qu’elle se produit toujours sur un fond de réductionismes anti-humanistes, distorsions de l’expérience humaine de la réalité, confusion de la réalité et du réel. Ce n’est pas parce que notre conscience, on le verra, est soit limitée, soit distordue, soit insuffisante ou bien qu’elle peut se focaliser sur telle ou telle dimension ou composante de l’expérience humaine qu’il faut confondre conscience et réalité, science et réalité. La science procède par des hypothèses et scrute utilement la réalité et ses régularités. Elle oublie trop souvent qu’il s’agit d’une méthode et d’un acte, entièrement humains qui portent sur l’expérience humaine et transforme l’expérience humaine. L’objectivation est un acte humain, l’objectivité est une dimension de la conscience humaine qui ne se tienst pas sans toutes les autres sauf par artifice d’occultation ou par oubli. Il faudra d’ailleurs approfondir l’agir humain dont l’acte de connaissance fait partie pour élaborer le connu c’est-à-dire une réalité d’expérience humaine à comprendre.
La réalité est actuelle. Cela veut dire qu’elle se présente dans le présent, dans l’actualité. Nous ne cesserons de découvrir comment le langage nous parle de nous-mêmes lorsqu’on l’écoute. L’actualité c’est aussi ce qui se présente comme un acte. De ce fait, de ce «faire» même, pourrait-on croire, on a pu chercher qui était l’auteur de l’acte. Or l’acteur c’est déjà l’homme tel qu’il se présente sur la scène de l’actualité, la scène du monde. Ensuite l’auteur c’est l’homme en son Instance, en conSensus avec d’autres hommes. Ainsi, si la réalité réalise l’homme et le monde dans leur existence, l’homme dans son Instance en est co-auteur. Chaque homme n’a pas quelque pouvoir divin par lequel il créerait le monde mais ce sont les hommes qui le «réalisent» en actualisent la réalité, co-créateurs, co-auteurs de cette actualité. Alors vient la question qu’est-ce qui fait qu’il en est ainsi, qu’est-ce qui crée les Instances humaines et cette humanité qui réalise le monde? La question de Dieu viendra alors, d’un Dieu que même le Sens n’atteint pas, même s’il le vise, que la réalité ne connais pas même si l’homme repose en lui sans connaitre ce que créer veut dire, lorsque ce n’est pas acte humain de co-création du monde. Ce Dieu transcende toute humanité de même que l’humanité de l’homme en son Instance transcende toute réalité. Ainsi toute figure de Dieu en est comme l’ombre portée au travers de l’acte humain qui en témoigne. L’ombre de l’arbre nous en donne une image et nous parle ainsi de la lumière mais l’ombre n’est pas la lumière pas plus que l’arbre.
La réalité est potentielle. Cela veut dire que la réalité qui est l’actualisation des Sens en conSensus, porte ce Sens, le véhicule, en est aussi le révélateur. La réalité témoigne de l’homme. Tout se passe comme si elle participait à la confortation du conSensus ou à la multiplication des participations au conSensus. En effet nous expérimentons que telle ou telle réalité, telle ou telle situation semble susciter en nous une réaction, une participation à cette réalité qui nous attire ou nous motive, pour le pire ou le meilleur d’ailleurs. Ainsi nous expérimentons le caractère apparemment agissant de la réalité ou de certaines réalités, dites alors moyens, instruments, méthodes. Les interactions factuelles, les structurations formelles, les résonances affectives semblent le fait de réalités dont nous sommes témoins ou auxquelles nous participons. Nous savons maintenant que la réalité n’agit pas par elle-même mais par le Sens et le conSensus qu’elle incarne. Ainsi une réalité potentialise un Sens et un conSensus susceptibles de transformer la réalité. C’est comme cela que beaucoup de réalisations potentialisent d’autres réalisations, actualisations à leur tour, potentielles. Seules les Instances, sont agissantes par les Sens en conSensus et les réalités en sont le vecteur. Les réalités sont potentielles en ce Sens qu’elles portent la puissance agissante des Instances Humaines et de nouvelles actualisations.
Ainsi la réalité est à la fois l’expression de l’humanité, en porte témoignage et porte la possibilité de nouvelles réalisations. Actuelle et potentielle. Mais à quoi cela sert-il à l’homme de réaliser le monde et de progresser dans cette réalisation sinon de révéler l’homme à lui-même. Mais ça c’est le chapitre de la question du bien de l’homme.
La réalité est virtuelle. Pour beaucoup cette expression renvoie la réalité à une fiction, une irréalité, une construction humaine artificielle. Or deux indices mettent en question cette idée. D’abord l’étymologie, celle qui consiste à écouter le sens des mots qui révèlent sans doute quelque Sens d’humanité. Si on en croit R. Grandsaignes d’Hauterive auteur du dictionnaire des racines des langues européennes (Larousse 1948 réédité 1994), virtuel vient de la racine indo-européenne Wir, du sanscrit vïràh, qui signifie homme. Homme en tant que porteur de volonté, de détermination, où la vertu, le courage, la force (de caractère), la vigueur, la valeur, la virtuosité, par exemple en sont des expressions de même que la virilité qui n’est pas forcément un privilège masculin. L’homme Vir n’est pas l’homme dérivé de humus qui en est une autre dimension. Virtuel signifie porteur de Sens humain et donc d’intentionnalité et de volonté humaine. La réalité est virtuelle parce qu’elle actualise et potentialise Sens et conSensus. La réalité est virtuelle parce que de source humaine, de vertus et de valeurs humaines. La réalité porte ainsi les virtualités humaines. Celles-ci constituent le réel humain de la réalité.
Qu’est-ce qu’ajoute cet exercice sémantique à la compréhension de la réalité d’expérience humaine. R. Grandsaignes d’Hauterive nous ouvre une piste. Word et Welt sont construits sur weor old et wer alt c’est-à-dire «âge d’homme». Quel rapport entre l’homme «Vir» et le monde ? Peut-être cet âge de l’humanité où la conscience du monde et la conscience de la capacité humaine à «faire le monde» viennent à maturité. Si la «mondialisation» de notre époque ne cesse d’inquiéter elle est aussi la conscience d’une responsabilité. Non pas celle d’un simple gestionnaire mandaté mais d’un co-auteur qui doit en assumer la responsabilité du devenir et donc le sien au travers. Comme le postule Michel Serres nous entrons dans un âge d’hominescence. C’est l’âge d’une maturescence, l’âge de l’homme c’est-à-dire de l’homme au centre des affaires humaines, co-auteur donc responsable.
Mais comment sortir de cette idée que nous ne serions que locataires de ce monde à subir ou consommer? À entretenir ou négliger ? En faisant l’apprentissage de la réalité comme virtuelle, en reconstruisant un monde de réalités virtuelles. Un immense laboratoire, à l’échelle de l’humanité est à l’oeuvre avec Internet (au passage c’est là que ce texte est aussi à lire). Encore balbutiante c’est «l’invention» d’un monde de réalités virtuelles, c’est à dire humaines qui est engagée. Ce monde de réalités virtuelles va devenir le monde, intégrant toute réalité d’expérience humaine. A courte vue on ne voit que fictions mais ceux qui vivent cela savent que ce ne sont pas seulement les écrans qui sont en jeu mais aussi les corps, les représentations mentales, et les affects. Mais tout cela change au fur et à mesure que l’homme réalisé change et que l’homme réalisant grandit. Alors Internet sera oublié et le monde d’une nouvelle conscience aura changé de réalité. Ce n’est pas la première fois, le monde de la Renaissance est devenu le monde moderne mais celui-ci laissera la place au monde virtuel qui est un monde d’âge d’homme. World wide web.