27 568

033 – Anthropologie communautaire

L’époque moderne en Occident a vu la montée en puissance et l’apologie de l’individu. L’individu, on le verra plus tard, relève d’une conception avancée de l’humanité, celle où une entité existentielle dite in-divis, indivisible, c’est-à-dire ayant une unité propre, est comme propriétaire de son existence. La conscience de cette individualité dans un monde scientifiquement expliqué trouve notamment trois sources (mais pas exclusivement on le verra heureusement). La source matérialiste qui fait de l’individu comme l’atome dans une masse (même étymologie), le produit aussi d’un monde matériel. Cet individu est totalement dépendant des conditions matérielles et collectives. La source rationaliste fait de l’individu une entité régie par des lois universelles, un «modèle» dont il est un exemplaire. La source individualiste fait de l’individu le lieu d’un «libre arbitraire» qui se définit et se détermine par rupture des liens de dépendance, ce qu’on appelle émancipation ou liberté individuelle, notamment vis-à-vis des obscurantismes ou vis-à-vis des milieux contraignants comme les communautés traditionnelles. Malgré leurs contradictions radicales les trois construisent la figure moderne de l’individu dont le rapport au collectif reste très ambigu.

Cette conception de l’homme comme individu est tellement familière que l’anthropologie communautaire doit en tenir compte. Elle apporte avec l’Humanisme Méthodologique une conception singulière du rapport entre les personnes et les communautés de personnes de telle manière que la liberté des premières passe par l’engagement dans les enjeux des secondes.

Tout d’abord une communauté humaine est de nature humaine. C’est en premier lieu une communauté de Sens ou communauté de conSensus. En effet chaque communauté est fondée sur le partage d’une Cohérence ou ensemble de Sens (inconscient commun ou collectif). Pour les Instances qui la composent l’expérience du Sens en conSensus constitue la réalité, celle de l’individu pour lui-même, celle d’un monde commun peuplé d’autres individus, dont les Instances participent au conSensus (inconsciemment en général). Ces réalités sont augmentées par les effets de conscience et de re-présentations. Il y a alors plusieurs aspects à explorer.

La réalité réalisée par une personne comporte son individualité existentielle, celle des autres et celle d’un monde qui est le sien. Tout cela est, pour cette Instance, expérience du conSensus. Pour une autre Instance partageant le même conSensus la réalité réalisée est celle de son individualité propre, celle des autres et celle d’un monde qui est le sien. En se plaçant au lieu de chacun, la réalité et la conscience de réalité sont très différentes par le fait d’une différence possible de participation au conSensus (origine, maturité…) et par le fait de l’exercice d’une conscience des réalités très différente (maturité, vocation, etc.). Cependant, de par le conSensus, à chacun la réalité commune semble la même, la seule, faute d’une conscience symbolique, conscience d’être, de l’Instance, du Sens et donc du conSensus. Ainsi il est tenté de croire en l’unicité et l’universalité du monde alors qu’il est seulement commun et qui plus est d’un point de vue différencié. Il expérimentera le fait de désaccords avec d’autres sur ce qu’est ce monde supposé unique, attribués à quelque faiblesse ou malignité. Il expérimentera aussi la singularité de ses points de vue et de son existence par rapport aux autres, qu’il comprendra comme sans doute différents de lui. Les autres individus lui sont ressemblants et leur conscience aussi, si bien que leur monde est supposé semblable sinon le même.

Il faut noter que pour l’existence communautaire, étant celle d’un conSensus particulier des Instances qui le partagent, il n’y a pas «d’autres mondes», extra-communautaires. Toute altérité est interprétée dans ce même monde. Il faut soit une conscience de Sens portant sur plusieurs Cohérences et donc communautés possibles, soit une certaine expérience multi-communautaire. En effet dans un moment donné, un espace temps donné il n’y a pas d’ailleurs pour une communauté (sinon quelques ténèbres extérieures) sauf s’il s’agit d’ensembles communautaires où se réalisent à la fois chaque monde et un monde de mondes, un monde multi communautaire. Cela dépend encore de la conscience des uns ou des autres et de la possibilité d’identifier, en soi-même d’abord, des points de vue communautaires différents.

Ainsi dans une communauté donnée, celle d’un conSensus partagé, vont de pair l’existence individuelle, l’existence collective, le monde commun supposé unique, la participation individuelle à ce monde, la participation humaine existentielle collective. Tout se passe comme si le monde et les existences, celle des hommes et celles de toutes choses étaient complètement interdépendantes. On verra néanmoins que différentes «visions de l’homme et du monde» multiplient les interprétations de ces interdépendances, selon des rationalités différentes notamment. Cette dépendance, co-dépendance est d’autant plus prégnante que ce monde et ses existants sont le fait d’un nombre important de parties prenantes dans le conSensus. Une réalité est d’autant plus tangible qu’elle est le fait d’un conSensus entre des Instances plus nombreuses. Si on envisageait des conSensus d’hommes par milliards alors les dépendances à un monde aussi tangible apparaitraient comme radicales.

Quid de la liberté humaine ? Celle de la participation au conSensus donc à une communauté de conSensus dépend de la conscience de Sens, conscience d’être en conSensus, à la source même de la réalité existentielle communautaire. On le notera avec insistance, il s’agit d’une liberté responsable, co-responsable de sa participation au conSensus, non pas par choix ou convenance mais par nature, nature humaine, bien sûr. On notera avec autant d’insistance que les implications de cette liberté dans le conSensus portent simultanément sur son existence individuelle, sur l’existence collective sur le monde commun et donc toutes les affaires communautaires et individuelles. On comprendra que les affaires individuelles sont communautaires et vice versa. La conscience de Sens amène avec l’autonomie de l’être (relative), la conscience des dépendances existentielles. La condition humaine existentielle est communautaire. Cette condition humaine peut être engagée dans la voie du développement communautaire celui donc du monde commun et des individus, voie qui peut-être révélatrice de l’homme Instance, être de Sens, transcendant à cette existence. On aperçoit que la trajectoire de révélation de l’homme au travers de son existence communautaire est la grande affaire de l’humanité mais que bien d’autres voies, d’autres Sens peuvent être impliqués qui l’en éloignent.

Si le champ communautaire est le champ même de l’existence humaine et celle du monde humain alors il faudra approfondir ce qu’est un monde communautaire où nous vivons notre existence. Il faudra aussi explorer la multiplicité des communautés humaines possibles et ce que nous avons à y faire. Enfin il nous faudra comprendre les ensembles communautaires et communautés de communautés structurant les monde humains jusqu’à un monde de la communauté humaine dans son ensemble. Alors l’anthropologie communautaire avec l’Humanisme Méthodologique permettra d’envisager autrement la plupart des affaires humaines, toujours communautaires. C’est cette perspective qui correspond aussi à la mutation du monde actuel passant d’une culture intellectuelle des représentations mentales à une culture du Sens et des communautés de Sens.

Réagissez

*