Nous avons vu dans les précédentes leçons comment une communauté de conSensus réalisait un monde peuplé des individus qui y participent. Tout ce qui existe dans cette communauté est expérience du conSensus selon différentes variations. Toute conscience y contribue et en augmente les horizons comme les réalités. La question maintenant c’est d’abord celle de l’inter-communautaire, du rapport possible entre deux communautés et ensuite celle du multi-communautaire, les communautés de communautés. Ces questions renvoient à la participation de la personne à plusieurs communautés, le passage d’une communauté à une autre, celle aussi des points de vue communautaires. Nous allons explorer d’abord la question du déplacement intercommunautaire et ensuite celle des ensembles communautaires.
Les déplacements intercommunautaires.
S’il y a deux communautés il y a deux conSensus portant sur deux Cohérences différentes dans l’Instance. Peut-on ainsi avoir un pied dans deux mondes différents? Pour quelqu’un qui est centré sur son conSensus communautaire tout ce qui arrive se réalise dans sa culture selon ses modes de compréhension, selon ses valeurs, selon les modes d’action et de comportements. Le statut des individus autres est réduit à ce qui reste lisible dans la culture de référence non par calcul mais par incapacité d’exister autrement. Il suffit qu’en plus cette culture se dote d’une doctrine de l’universalisme culturel pour que ce qui est commun y devienne investi d’une valeur totalisante. Le problème est très courant et chaque culture peut puiser dans le pire ou le meilleur d’elle-même, de ses Sens, pour établir une relation d’altérité où l’étranger n’est pas un sous-homme, un déficient, une menace, un danger, mais un autre susceptible de partager le même conSensus communautaire. Il arrive même que des étrangers soient devenus les plus exemplaires de la culture sous tel ou tel de ses Sens. Il faut noter que l’étranger ne l’est que parce qu’il participe quelque peu du conSensus. En tant qu’homme il porte, en lui, la totalité de l’humanité et de ses Cohérences, y compris celles qui ne lui sont pas familières. De là vient l’expérience de se retrouver dans une culture étrangère avec les difficultés de prendre part à l’existence commune. Mais la culture de ce conSensus y palliera jusqu’à pouvoir y tenir une place significative ou éminente. Il y a dans les deux cas un même phénomène humain celui du déplacement d’une communauté culturelle à l’autre. Or si ce déplacement peut être matérialisé par un déplacement physique, symbolique d’un rapport d’altérité, de proximité-distance, c’est avant tout un déplacement intérieur à l’Instance qui est en jeu. C’est en nous-mêmes que se fait la rencontre avec les autres dans un conSensus commun. Ce déplacement peut être «forcé», auquel cas, celui qui le subit se trouve dans un grand dénuement existentiel, celui de son individualité et de son monde qui s’écroulent ou plutôt se dissolvent. Autrement le déplacement d’une Cohérence à l’autre pourrait passer pour volontaire s’il ne s’agissait pas d’une véritable mort existentielle au monde de sa communauté initiale avec une renaissance fragile à un autre monde. Tel qui fréquente une communauté étrangère reste en fait dans son monde qu’il impose aux autres (colonisation) ou qu’il vit en milieux protégés (espaces construits à cet effet) à moins de prendre le risque de la relation d’altérité communautaire et donc culturelle. Mais comment faire un tel saut dans l’inconnu alors que tous les moyens existentiels et la sureté de soi sont plutôt mono-communautaires? Il y a, bien sûr, la réponse universaliste d’éradication des communautés au profit, en fait, d’une communauté universaliste (rationaliste par exemple). Il y a aussi une autre réponse avec la constitution d’une petite communauté de transition, une sorte de vaisseau de navigation intérieure comme il y en a dans des groupes de «voyages intérieurs». C’est le cas lorsque le déplacement se fait «en famille» ou avec des proches, rassemblant la communauté de transition sur une culture propre qui se tiendra dans son fors intérieur ou se dissoudra dans un autre monde. Il y a enfin une solution plus générale celle du multi-communautaire.
Ces brèves illustrations évoquent les difficultés et les conditions de changement culturel ou de déplacement inter-communautaire. Beaucoup vivent cela souvent dans leur existence, plus rarement pour d’autres avec beaucoup de difficultés et de ruptures, ou bien plus fréquemment dans un temps ou cela deviendra la règle. En tous cas les relations inter-communautaires à toutes les échelles peuvent se comprendre dans leurs difficultés et leurs affrontement mortels comme dans leurs rapports hégémoniques ou alors l’établissement de relations inter-culturelles.
Les ensembles communautaires et multi-communautaires
Il faut commencer par le schéma de principe. Une communauté est le fait d’un conSensus qui fait son unité (Cohérence comme ensemble de Sens) et sa diversité d’orientations (ses Sens). Mais ce conSensus est aussi celui de nombreuses personnes, petit ou grand nombre, dont la participation au conSensus et aussi le Sens privilégié ne sont pas strictement les mêmes. C’est ce qui fait l’hétérogénéité du monde communautaire et de ses habitants. Il se trouve aussi que dans ce même monde des habitants se retrouvent ensemble comme dans une communauté autre qui aurait alors sa propre Cohérence et ses propres Sens. Il arrive ainsi qu’au sein d’une communauté, des communautés plus petites (pour faciliter la compréhension à ce stade) apparaissent, soit comme participant de la communauté d’ensemble soit comme communautés quasi étrangères avec tous les problèmes associés. On peut comprendre cela comme la présence simultanée ou quasi simultanée de deux Cohérences en conSensus notamment pour le groupe de personnes en question. De ce fait par moment ils semblent participants de la communauté générale et à d’autres surtout de la communauté locale. Ainsi, le schéma qui pointe une Cohérence en conSensus pour les Instances concernées doit être complété par la multiplicité possible des Cohérences en conSensus donc des mondes communautaires et des individualités vécus. Il nous arrive que pris dans un contexte communautaire nous ne soyons pas le même que dans un autre et, nous déplaçant physiquement ou surtout intérieurement, nous changions comme d’existence.
L’organisation des vies bien réglées limite ces changements et les communautés traditionnelles offre une variété limitée de communautés participantes. Sans précautions l’éclatement de l’individualité et du monde vécu est comme une menace. De grands efforts sont investis pour établir de ces stabilités micro-communautaires (familles, activités professionnelles, participations sociales) dans un ensemble communautaire plus large lui-même partie prenante d’autres ensembles communautaires communautés politiques par exemple. Cette complexité des ensembles communautaires est celle de la condition humaine dès qu’elle peut être envisagée par une plus grande maturité. C’est l’enjeu de la mutation de civilisation engagée mais aussi de l’accès à l’intelligence symbolique qui permet de travailler aux déplacements intérieurs de conSensus en conSensus (Centrations et poly-centrations on le verra). C’est ce qui permet de voyager d’une communauté à l’autre dans le contexte d’une communauté plus large (communauté de communautés). C’est ce qui permet de choisir un positionnement communautaire pour toute participation aux affaires humaines. C’est ce qui permet d’explorer et choisir nos communautés de vie et d’engagement. Il faut comprendre que l’âge des déplacements physiques a permis l’exploration symbolique des déplacements intérieurs nombreux. Une personne qui vit à l’ère d’Internet vit dans une multiplicité de mondes successifs et imbriqués qui peut être la source de très grandes difficultés en même temps que l’accès à une humanité plus profondément humaine parce que connaissant ses dépendances communautaires et sa liberté de choix et d’engagement responsable.
Il y aura deux exigences majeures. Toujours poser la question de la communauté de référence pour toute problématique ou toutes les affaires humaines sans que cela soit exclusif pour autant. La seconde c’est d’assumer la participation à telle communauté concernée, c’est-à-dire à son Consensus, c’est-à-dire de se centrer sur sa Cohérence, celle du conSensus, la sienne en soi. On le verra, la centration comme exigence et discipline sont une des clés de l’intelligence symbolique pour l’Humanisme Méthodologique. Le paradigme communautaire viendra comme support d’une nouvelle discipline pour poser et traiter les affaires humaines, toujours communautaires dans des conditions multi-communautaires.
Notons que l’Instance de chacun est le lieu de toutes les Cohérences possibles parmi lesquelles quelques-unes sont engagées en conSensus. Nous participons à diverses communautés qui limitent évidemment les possibilités de réalisation de l’humanité tout en en portant toutes les potentialités. C’est ce qui fait l’universalité et l’égale dignité de tous les hommes mais l’infinie diversité et singularité des modes d’existence qui ne disent jamais à eux seuls la grandeur de l’homme. Mais la liberté d’une nouvelle maturation humaine est aussi celle d’une nouvelle responsabilité, d’une nouvelle considération du bien de l’homme et à chaque fois du Sens du bien commun. Ce seront de nouveaux chapitres.