L’âge archaïque est celui qui vient avant tous les autres. Il est celui où se constituent les soubassements, les «arches premières» de la personnalité. L’expérience y est entièrement affective, expérience sensible constituée d’un vécu, d’un éprouvé fait d’émotions, de plaisirs et de douleurs, de craintes, peurs et souffrances, plaisirs, jouissances, quasi extases. Tous les registres y sont vécu selon la singularité du conSensus parental, maternel, et ce qui sous-tend les situations vécues.
Un problème est celui du caractère inconscient de tout ce qui se constitue à cet âge, antérieur à toute expérience de séparation et de distinction, de toute expérience d’un corps propre en interaction, de toute expérience mentale bien sûr. De ce fait il n’y a pas de mémoire consciente de cette période. Et pourtant tout ce qui vient ensuite tout au long de la vie en est comme l’écho, le met en résonance, le raconte.
Dans l’âge archaïque la conscience distinctive de soi et du non soi n’est pas encore possible. Cela n’empêche pas un vécu mais qui n’est pas personnellement approprié. Il n’y a pas d’autre dans l’expérience et pourtant les autres sont là et tous leurs mouvements nous affectent, sans repères. On comprendra qu’il s’agit de l’existence propre de la personne en gestation pas de sa «réalité pour les autres». Au passage, elle se transforme avec les échographies qui tentent d’en saisir quelqu’écho. On peut se demander quelles traces cela laissera dans l’expérience archaïque vécue sans pour autant pouvoir en dire quoi que ce soit.
L’âge archaïque est celui, prénatal, antérieur à la naissance et l’épreuve de séparation, associé à la dialectique du soi et du non soi, de l’être et du non être, d’une toute puissance et d’une totale impuissance et expérimenté selon toute une gamme des affects. Agression terrorisante, satisfaction plaisante, émois modulés en résonances, communion d’être sereine et jouissance. Toutes les expériences prénatales se multiplient, se complexifient sans qu’aucune représentation distincte en fasse souvenir autre que résonance vécue, mémoire affective. Boris Cyrulnik dans son livre «La Naissance du sens» pense que les premières images mentales distinctives apparaissent en fin de gestation. Il faut que l’expérience de séparation puisse avoir été vécue sinon rien n’est distinct ni distingué.
L’âge archaïque n’a pas d’histoire pour l’intéressé il lui est préhistorique, inconscient. Pourtant toute la vie en verra la traductions dans les autres registres de l’existence, corporel, mental, et aussi relationnel ou symbolique. Tout se passe comme si des situations homologues (mêmes Sens et conSensus) réveillaient les affects éprouvés selon des sensibilités forgées alors. Chacun réagi alors de façon différente en nature et en densité. C’est là que viennent se greffer trois questions.
Les résonances brutes qui nous submergent sans pouvoir les métaboliser en mode d’exister plus matures. Ce sont des réactions archaïques qui sont comme des racines pathologiques, nos passions primordiales, ce qui nous éprouve en l’éprouvant. Des régressions archaïques peuvent jalonner notre existence et peuvent nous y abîmer.
Comment d’âge en âge des maturités successives nous font passer de ces pathos à une maitrise progressive de notre existence, développement et accomplissement. C’est l’affaire de l’éducation selon les âges par exemple mais aussi culturellement selon le travail sur les mythes, les moeurs et les croyances qui racontent des scènes primitives du «commencement de la vie». Tout le développement humain y est inscrit, tant comme quête, comme maturation ou comme résolution de difficultés avec toujours leurs sources archaïques.
Comment les ressources archaïques structurent nos talents, nos handicaps, nos facilités nos difficultés, nos personnalités et, en définitive, nos potentiels de développement et de maturation.
Il se trouve que l’âge archaïque qui se construit en son temps et s’exprime tout au long de la vie est aussi bien celui de communautés humaines que l’on pourrait qualifier d’archaïques, préhistoriques ou simplement en gestation. Tout ce qui est appelé à «venir au monde» et construire son histoire passe par un âge archaïque. Cela est vrai pour nos projets, organisations, réalisations et toutes les réalités d’expériences humaines. C’est là une source de connaissances, de compréhension et d’action que l’intelligence symbolique saura utiliser ou d’autres pratiques s’y ressourcer. Pour des rationalistes trouver dans l’archaïque émotionnel la source et la structure de toute entreprise humaine donc de toute rationalité est sans doute inquiétant. Une résonance à élucider sans doute.
Il est intéressant de comprendre comment les communautés humaines historiques ont leur préhistoire hors de leur conscience mais qui forme comme un inconscient collectif. Elles ont aussi leurs régressions dans l’archaïsme lorsqu’elles sont dominées par leurs passions et qu’au lieu d’une maîtrise de l’archaïque c’est une maîtrise par l’archaïque qui s’y développe. Les mythologies inspirées par des religions ou toutes autres projections des jeux de puissance ou d’impuissance, de paradis et d’enfers y ont toute leur place mais aussi les comportements aux finalités principalement émotionnelles. Gustave Lebon avec sa «psychologie des foules» en raconte le maniement que l’on a cru bon devoir ignorer en un temps où la Raison pensait pouvoir se débarrasser des passions. C’était ignorer l’inconscient qui nous structure et nier par exemple le fait communautaire ou le rôle des affects dans la construction et le développement humain et culturel. Ainsi nos sociétés dites évoluées on perdu la connaissance de phénomènes essentiels pour notre développement et notre accomplissement jusqu’à s’abstraire de l’humanité au nom du progrès humain. Comme l’attestait Lucien Jerphagnon (Les dieux ne sont jamais loin), même les scientifiques ont besoin de mythologie, non seulement pour grandir mais aussi pour exprimer les structures de l’inconnu. La conscience sensible reste aussi la condition de toutes les autres qui ne la supplantent pas mais la complètent en augmentant l’expérience humaine et ses réalités.
Ainsi on observera que le déni de l’âge archaïque dans son caractère structurant, son apologie au travers de régressions nombreuses et de pertes de conscience, son exaltation comme fondement même de l’existence en viennent tous à méconnaitre cette période de l’édification de l’existence humaine, individuelle comme communautaire. De là de nombreuses situations ou postures qui donnent à l’archaïque la main au détriment de la construction d’une maîtrise humaine de l’humanité. Cela est en question dans la plupart des situations de l’existence et notamment les plus impliquantes. C’est pour cela que le travail des âges de la vie est toujours aussi primordial pour les personnes, les communautés et les civilisations.