Après le contenu de l’existence individuelle et les trois composantes : affective, corporelle et mentale, il faut encore s’arrêter sur trois dimensions qu’il est indispensable de prendre en compte pour comprendre ce qu’est l’homme.
La dimension objective, l’homme objet
C’est celle de son inscription dans un monde, un milieu, des situations comme objet parmi des objets. Il est vrai que l’on peut voir l’homme comme composé d’atomes et molécules, les mêmes que l’on trouve dans le monde environnant et l’univers entier. Tout se passe comme s’il était issu de cet environnement dont il se distingue comme un objet particulier parmi d’autres, d’autres individus humains et bien d’autres objets. Sous cet angle il est entièrement conditionné par son milieu dont il se distingue non par sa nature mais par sa composition particulière. Ainsi on peut voir chaque individu comme déterminé par son environnement et les situations où il se trouve. Il dépend donc aussi des aléas qui s’y présentent. Hasard et nécessité sont les maîtres mots de cette détermination de l’existence humaine et de chaque individu.
Apparait alors une question. Peut-on réduire l’homme à cette dimension, en faire la base de toute son existence qui se déduirait des conditions environnantes et des réactions de ses propres composantes à ces conditions ? Cette conception est très présente dans le monde actuel. Elle s’apparente au matérialisme et ses variantes qui font de la matière le seul principe d’existence. Bien sûr, cela ne dit pas d’où vient la matière ni pourquoi les compositions matérielles pourraient être bonnes ou mauvaises. Cela conduit à faire des conditions environnantes les seuls déterminants de l’humain et de leur transformation, la condition de tout changement dans l’existence. On peut se demander à l’inverse si l’existence humaine peut faire abstraction de cette dimension. On en verra des tentatives.
La dimension intentionnelle, l’homme sujet
Nous sommes capables de volonté, de détermination de nos orientations, de nos choix et même si ce n’est pas consciemment nous sommes porteurs d’aspirations, de désirs, de motivations. Cette tension qui se traduit en intention nous fait appréhender le monde, les situations, les autres selon sa logique propre. De cette manière il semble que nous ayons le choix de conduire notre existence, de nous assigner des buts, de choisir des situations à vivre que ce soit à court terme ou avec des visées plus lointaines. Cette autodétermination apparait comme relevant d’un libre arbitre qui n’est pas seulement délibération mais détermination et engagement de soi. L’individu est le sujet de cette intentionnalité. En cela il n’est pas «sujet à» des intentions qui le traverseraient comme certains le voudraient mais «sujet de» ses choix, ses initiatives et en définitive libre et responsable.
Apparait alors une question, celle que l’on pourrait appeler du libre arbitraire. L’individu pourrait déterminer arbitrairement ses choix, sa volonté, ses intentions, ses principes et ses valeurs. Cette liberté serait synonyme d’absence de contraintes, de conditionnements, de déterminations exogènes. L’individu est alors un tout pour lui-même face à d’autres individus et un environnement qu’il utilise à sa convenance. C’est là le principe de l’individualisme. Comme cette dimension intentionnelle ne se maîtrise que progressivement et non sans difficultés, l’individualiste soit le méconnait se croyant seul déterminant de son existence soit s’en fait revendicateur, confiant à d’autres le pouvoir de le satisfaire.
La dimension historique, l’homme en projet.
Comment définir l’existence, d’un homme, d’un individu humain sans intégrer son histoire, le déroulement de sa vie qui fait qu’il change sans cesse, qu’il évolue, qu’il est engagé dans des buts, des projets qui le mobilisent et transforment son existence. Projets éducatifs, projets professionnels, projets simplement d’occupation, de distraction, toute notre existence est impliquée dans ce mouvement incessant. Même dans le sommeil se fait un travail d’intégration de l’expérience précédente qui prépare les suivantes. Ce développement de l’existence n’est pas seulement une succession temporelle d’évènements, elle constitue une histoire comme un récit qui est celui de l’existence de chacun, notre existence propre. Nous sommes aussi une histoire et son récit commence avant notre naissance dans une histoire qui nous précède mais dont l’héritage nous est propres. Notre histoire nous succède aussi dans les héritages que d’autres auront intégré. En outre dans notre histoire et les projets qui la construisent sont impliqués bien d’autres hommes, d’autres existences, d’autres projets humains auxquels nous participons et qui participent à la nôtre. Cette dimension projective qui nous met en avant, en devenir, en développement, nous fait participer à un monde humain et son histoire même pour un modeste épisode.
Un problème se soulève alors, celui de l’interdépendance qui fait de notre existence la conséquence rationnelle des déterminants extérieurs à nous-mêmes. Nous serions alors le jouet de cette histoire du monde et des moments dans lesquels nous avons été placés. Les normes, les règles, les enjeux, les péripéties, les rationalités des circonstances de notre existence en seraient les déterminants. Cette logique rationaliste nous invite à ne pas déroger aux structurations hétéronomes qui nous déterminent, à faire des conformités nos buts et nos modes d’existence. Le rationalisme existentiel est normatif sur tous les plans d’une existence normale. Encore un réductionnisme très actuel qui dicte les trajectoires et les statuts, les places et les comportements. Les zones qui échappent au contrôle normatif sont comme un espace privé, un en soi, qui menacerait toujours l’espace public, ses règles et ses enjeux.
Ces trois dimensions s’articulent avec les trois composantes de l’existence individuelle. Leur unité ou leur dissociation structurent les conceptions de l’homme et donc celles, implicites de l’humanisme.