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016 – La réalité objective

Reprenons la source de cette dimension de l’expérience humaine. Il s’agit de l’expérience du conSensus de l’Instance avec d’autres Instances. C’est là spécifiquement l’expérience de la présence/absence de l’autre, de chacun des autres. Si tel autre est absent du Consensus pas d’expérience, si tel autre est simplement présent pas d’expérience. Il faut donc une alternance dans la présence de l’altérité. La présence se caractérise par sa fréquence, régulière ou non, ce que l’on retrouvera par la fréquentation des gens et des choses. En définitive l’expérience est celle d’une probabilité de présence (ou d’absence). Le nombre multiplie des facteurs ou acteurs de l’expérience. Il ne s’agit jamais d’un nombre absolu mais probabiliste, d’un nombre de fréquences alternatives.

Ces considérations aident à comprendre comment la dimension «objective» de la réalité est numérique, quantitative, probabiliste et par suite aléatoire. On remarquera que les mots clefs ici dérivent de la même racine que celle de «autre» en l’occurrence de l’autre être, de la présence/absence d’un autre être par rapport à l’être propre lorsqu’il a conscience de lui-même. Mais c’est dans cette relation alternative que l’être-soi se distingue comme un autre (qui fait nombre pour les autres). On notera encore que l’autre dans l’expérience de cette dimension n’est que nombre et probabilité, aléa. Sa qualité d’être humain relève d’autres dimensions. Ici c’est la quantité qui compte et sa «prise en compte» le contenu de l’expérience. En fait l’autre qui fait nombre n’est pas Sens dans cette dimension d’expérience mais comme une trace, une ombre, qui intervient dans l’expérience avec d’autres.

La réalité objective repose sur une combinatoire de nombres, sur des combinaisons de présences ou de probabilités de présences. L’expérience en vient à les distinguer, les compter, reconnaître comme des «paquets» de nombres. Les assembler et les séparer, les distinguer et se distinguer par là-même. La réalité objective, cette dimension de l’expérience du conSensus, est bien celle qu’il y a de l’autre, aléatoire, avec des constantes ou des constances qui peuvent s’expérimenter comme des groupes de nombres  qui sont à la source de l’expérience. Elle se trouve ainsi apparaître comme exogène, exo-déterminée.

Il est intéressant de reconnaître que des théories tentent de fonder toute la réalité sur cette expérience. Cela va donc notamment avec l’abstraction du sujet et du projet. Cet objectivisme radical cherche dans les nombres et leur combinatoire la cause de toute choses. De nombreux travaux scientifiques et mathématiques cultivent cette position, l’ère du numérique se plait à croire que tout peut être digitalisé au travers de la dualité du 0 et du 1, présence/absence assortie, dans les conceptions avancées, d’une certaine probabilité. Les théories quantiques s’y retrouvent volontiers et ont été l’enjeu de débats sur la présence ou l’absence du sujet dans les phénomènes observés. Cela tient à l’interprétation de la probabilité soit comme présence du sujet, soit comme «état statistique» constaté ou calculé.

L’objectivisme radical déshumanise par son réductionnisme le monde humain posé comme donné, combinatoire de données élémentaires, d’éléments premiers. On notera la déshumanisation d’un monde fondé sur le nombre, les comptes, le quantitatif pur et surtout le caractère exo-déterministe de la réalité pour l’objectivisme. On notera aussi l’intervention de métaphysiques souvent non dites qui tentent de justifier cette réalité par quelque entité source. Parmi elles il y a notamment «la matière» selon certaines conceptions numériques, il y a aussi le hasard. Cette dimension n’est ni à absolutiser ni à nier comme avec d’autres réductionnismes. Elle est à prendre en compte, prendre en compte qu’il y a de l’autre, du non soi, de l’exo-détermination comme une des source de toute réalité d’expérience humaine, celle de notre propre existence individuelle aussi bien.

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015 – Le cohérenciel de la réalité

Nous avons les bases qui permettent de construire la structure de l’expérience humaine, structure de la réalité. C’est l’expérience du Sens en conSensus, cette fois rapportée à la réalité en général et pas simplement l’existence individuelle.

On va donc retrouver trois dimensions structurantes et trois composantes qui forment le cohérenciel, structure qui vaut pour toute «réalité» désignée. Une chose, un mot, une situation, une organisation, un monde et toute chose dès lors qu’elle est considérée comme telle.

Trois dimensions structurantes : objective, subjective, projective

La dimension objective.

La réalité est là composition d’éléments formant un ensemble qui lui-même compose d’autres ensembles. Les éléments sont séparables, distinguables en même temps que l’observateur se distingue de ses observations. La racine ob que l’on trouve dans objectiver signifie «devant» et le terme «jeter-au-devant» c’est aussi l’acte de distinction entre les objets et avec celui qui distingue. On remarquera ici que, objectiver est un verbe qui réclame donc un sujet. L’objectivisme l’oublie ou le nie. On sait que le nombre, le multiple de cette expérience est au fond lié à la pluralité des Instances, des autres dans le consensus. D’une manière générale, sous cette dimension, la réalité nous apparait comme un objet observé dans un contexte d’objets et lui-même décomposable en éléments objets.

La dimension subjective.

La réalité est là comme ce qui peut être nommé, qualifié et ce par un sujet porteur d’intention. On sait que c’est là l’expérience du Sens dans le conSensus. Elle est aussi comme un regard orienté selon ce Sens qui est en même temps support de valeurs et aussi de perspective. Si on est dans un contexte culturel où cette intentionnalité est stable alors il arrive que cette désignation, cette qualification semble fixe et même indépendante du sujet qui la nomme, comme si le nom appartenait à la chose nommée. Mais si on dit cela est une table cette «quiddité» de la table peut devenir «du bois à brûler» ou un support de présentation, ou rien de tout cela si on le présente à une culture où il n’y a pas de table. Cette désignation qui établi les attributs de la réalité les lui attribue bel et bien pour la constituer. C’est sa dimension subjective celle du sujet qui désigne mais qui le fait dans un conSensus qui le dépasse et dont il n’est pas souvent conscient.

La dimension projective

La réalité est là comme un évènement qui se déroule qui a une origine et un devenir. L’immobilité est un cas particulier qui va plutôt avec la lenteur du mouvement. Si ce n’était pas le cas il existerait des choses éternelles dans la réalité. L’évènement qui se produit mobilise les éléments qui le composent et ceux dont il fait partie et les trouve articulés selon une rationalité, une logique, une cohérence qui vient de l’intentionnalité et donc de la quiddité de la chose. Ainsi, vue sous cet angle, une réalité s’inscrit dans un devenir. Son histoire peut se raconter, s’anticiper, se projeter donc. C’est comme cela qu’elle peut s’expliquer, par exemple par un jeu de causalités et de perspectives.

Cohérenciel

 Le cohérenciel se présente selon trois vecteurs : l’attention, l’intention et l’extension associés à ces trois dimensions. Ils déterminent trois plans ou composantes de la réalité.

Le plan sensible.

Toute chose existe par l’appréciation que nous lui attribuons. Grand petit, chaud froid, beau laid mais aussi toutes les mesures, qualités ou défauts, couleurs ou grandeurs sont l’expression de la façon dont nous éprouvons les choses leur attribuant des propriétés qui sont celles de notre expérience sur le plan de l’affectivité. Ce que nous ressentons directement ou par quelque artifice nous l’attribuons volontiers aux choses (et aux gens).

Le plan factuel.

Toute chose peut entrer dans une interaction avec notre réalité individuelle et d’autres choses. Ces interactions semblent produire des effets si bien que c’est par ces effets que sont appréhendées les choses. Les grandeurs de la physique, les propriétés mécaniques par exemple semblent caractériser toute réalité matérielle, la matérialité elle-même se défini par quelque propriété du même ordre. Le plan factuel est celui des faits et de leurs effets quelquesoit le type de caractéristiques auxquelles on s’attache. Mais c’est là sans doute un effet de l’intentionnalité et en tout cas ce qui place les éléments dans une chaîne de causalités qui se projette dans une existence particulière.

Le plan des représentations.

Toute chose se représente mentalement soit comme une image portée par la chose soit comme une image projetée dans l’expérience. Si on assimile la chose à ces images formes visibles, structures abstraites. Alors elle est représentée pour nous par ces représentations qui sont comme des reflets de la chose que nous lui attribuons. Si la terre est ronde, c’est que la rondeur est une représentation que nous lui attribuons. Nous  considérons aussi que c’est l’image qu’elle nous donne, sa forme même. Intentionnalité et projectivité ne sont pas loin et déterminent ce plan-là.

Nous aurons à approfondir chacune des dimensions et composantes du cohérenciel

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014 – La réalité est de nature humaine

Cette question conditionne bien sûr notre rapport au monde mais aussi à nous-mêmes dans le monde. Depuis toujours des philosophes et des penseurs ont cherché à y répondre. Pour les uns la réalité est un donné que la science notamment, en concurrence avec d’autres thèses, décrit ou explique, oubliant que cette science et ces thèses sont toujours productions humaines (ce qui ne veut pas dire arbitraire). Pour d’autres la réalité est la projection d’un arrière monde où résideraient les modèles premiers. Pour d’autres encore la réalité n’est rien d’autre que notre expérience sensible d’un réel déjà là, éventuellement représenté mentalement sous des formes intelligibles. Pour d’autre la réalité n’est rien d’autre qu’une production mentale dont l’expérience ne serait que projection. Dans le monde actuel la question prend la forme des multiples paradigmes dont dépend l’explication des choses mais aussi notre expérience. Réalité première, réalité apparence, réalité matérielle, rationnelle, probabiliste, relativiste, mécaniste, chaotique, émergentiste, ce sont des conceptions de grande importance aussi pour la considération de l’homme et dont un humanisme ne peut sérieusement se passer.

Pour l’Humanisme Méthodologique, la réalité est humaine, de nature humaine même. Une telle conception se soumet à l’objection mais le seul argument qui n’est pas recevable est l’argument d’évidence, de reddition à l’évidence. Elle implique bien plus qu’une conception intellectuelle, elle doit rendre compte non seulement de ce qu’est la réalité mais de ce que nous y faisons dans notre existence et dans toutes les affaires humaines. Si la réalité est humaine alors nous sommes co-auteurs et responsables de cette réalité, du moins potentiellement, si nous parvenons d’abord à en prendre conscience.

La réalité est réalisée par les hommes. C’est un réalisé au sens de découverte, de conscience, de connaissance. C’est aussi un réalisé au sens de production, transformation ou même création. Ainsi la réalité est notre expérience, celle de notre existence et l’existence de toute chose, celle du monde ou des mondes, celle de nos concepts les plus avancés, mathématiques même, celle des choses matérielles ou mentales ou même sensibles. Celle aussi de nos histoires, de nos systèmes, de nos sociétés, de toutes nos situations, de nos instruments de nos méthodes, de nos croyances, de nos philosophies, de nos existences mêmes. Ainsi la réalité n’est pas chose simple puisqu’elle comporte autant de dimensions que l’expérience humaine et notre existence.

La réalité est donc partie prenante de la connaissance de l’homme, non pas comme un facteur extérieur mais comme une oeuvre commune, comme une réalisation de l’humanité, à toutes les échelles. L’humanisme Méthodologique ne reste pas centré sur certaines préoccupations humaines mais sur la réalité de son monde et donc toute son existence. Mettre l’homme au centre veut enfin dire quelque chose puisque le centre c’est le coeur de la réalité du monde.

Comment la réalité se réalise-t-elle ? C’est en questionnant notre expérience que nous y répondrons. Comment peut-on agir dans la réalité, sur la réalité ? C’est évidemment lié. Comment rendre compte de la complexité de cette réalité et des efforts de compréhension philosophiques, scientifiques ou même artistiques. C’est ce que nous étudierons.

Il est vrai que toucher à la réalité, c’est toucher à notre réalité même. C’est pourquoi ces questions sont souvent inquiétantes et que les tenants de telle ou telle version sont si accroché à leur vérité. Celles qui sont différentes portent atteinte à ce sur quoi ils fondent leur propre réalité. On ne peut en effet expérimenter, discourir, croire, en dehors de notre propre expérience. Et nos croyances en la réalité sont corrélées avec nos croyances en notre propre réalité. Toucher à l’un touche à l’autre. Et pourtant nous pouvons avoir l’expérience dans notre existence de plusieurs croyances de plusieurs conceptions de la réalité pour nous-mêmes ou chez d’autres. Cette relativité de la réalité réalisée marque d’une part sa dépendance d’avec les hommes qui la réalisent mais aussi la multiplicité des possibles en l’homme. L’Homme est toujours auteur de sa conception de la réalité qui ainsi le révèle pour une part. Alors si c’est encore du côté du Sens et des conSensus qu’il faut aller chercher ces sources, la pluralité des Sens et des conSensus fait la pluralité des réalités et des mondes.

Bien sûr viendra la question : est-ce que toutes ces conceptions de la réalité se valent ? Y a-t-il une vérité au milieu de l’erreur? Cela rejoindra le grand chapitre du bien de l’homme et sa réponse. Il y a une conception de la réalité qui rend compte des autres, les intègre et les dépasse celle de l’Humanisme Méthodologique, sans que ce soit la dernière pour autant. Comme on l’a aperçu avec les dimensions et composantes de l’expérience et de l’existence humaine se sont des réductionnismes qui sont à l’oeuvre, des déviances ou des inversions qui ratent la position centrale de l’homme. C’est donc à chaque fois un appauvrissement de la conception de l’homme qui va avec telle ou telle conception, réductrice par exemple. Ainsi une conception matérialiste réduit le monde à sa matérialité (même si cette notion est complexe) et l’homme du même coup. Même chose pour le rationalisme ou l’individualisme.

Ainsi la conception de l’homme de l’Humanisme Méthodologique ne se contente pas de rendre compte d’une lecture anthropocentrée, d’un humanisme radical, mais aussi de l’élaboration et du Sens des conceptions autres. Cependant il s’agira plus de développer une approche nouvelle des problématiques humaines que de critiquer outre mesure celles qui sont en question dans la crise de notre époque de mutation.

Cette relativité de la réalité, eu égard à l’expérience humaine qui la constitue, nous entrainera à distinguer la réalité du réel. L’expérience existentielle est expérience du Sens en conSensus lesquels sont donc le réel de la réalité réalisée, celle de nous-mêmes en même temps que celle du monde environnant. La corrélation entre notre existence individuelle et celle du monde environnant est établie par le biais du réel commun, des conSensus de nos Instances.  Le réel transcende la réalité, il en est le principe et la source. Mais ce réel est humain. Il n’y a pas dans la réalité de cause à la réalité ni humaine ni mondaine. Mais c’est par nos Instances humaines que tout se réalise.

Ainsi le monde que nous expérimentons et dont nous faisons partie est-il la réalisation des conSensus entre nos Instances d’êtres humains. Cette réalisation existentielle témoigne en retour de ces Instances, de leurs Sens et des conSensus. C’est sans doute là qu’une révélation de l’homme peut se jouer. La dialectique réalisation révélation est capitale dans le procès de reconnaissance de l’humain et son accomplissement par un travail sur et dans la réalité du monde. A quoi sert la réalité, de notre existence et celle du monde ? A nous réaliser pour nous révéler…

On notera alors que la réalité n’est pas une production individuelle mais le fait d’un conSensus. Pas de monde sans les autres mais nous y avons une part de responsabilité. Toutes les situations humaines le mettent à l’épreuve comme on va le voir.

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013 – L’expérience du Sens

Ce qui est en l’homme, en son Instance c’est le Sens. A partir du conSensus, Sens en commun (communion de Sens) s’inaugure une expérience primordiale. Nous allons l’analyser pour un seul Sens, sachant que l’Instance porte aussi des conSensus plus complexes ou plutôt que l’expérience du Sens est multiple. Elle a cependant une structure fondamentale générale.

Pour l’Instance en conSensus se vit la présence en soi d’une tension dont elle est le siège. Cette tension se peut se traduire par de nombreuses modalités : motivation, aspiration, désir, volonté, détermination orientée. Tout ceci caractérise une intentionalité. Cette expérience est fondatrice du sujet qui se reconnait comme sujet à cette tension ou sujet de cette tension selon qu’il s’en fait l’auteur ou le suppôt. Cela peut être plus fort que soi ou soigneusement ajusté, conscient ou inconscient, clair ou obscur.

Il y a une deuxième dimension à cette expérience du Sens en ConSensus c’est qu’il y a de l’autre. En effet le conSensus dépend de la présence de l’autre et c’est sous le mode de la présence – absence que cette expérience apparait mais aussi sous celle de la proximité – distance lorsque ce sont des variations du conSensus. On notera qu’il faut au moins trois Instances pour que se distingue le soi et le non soi dans cette expérience. De ce fait les relations duelles ou fusionnelles posent problème quant à la construction de la conscience de soi.

Dans des situations courantes en milieu communautaire les autres du conSensus sont nombreux, si bien que c’est l’expérience première du nombre en même temps que de l’aléatoire (aléa et autre sont de même racine). Il y a donc un contexte multiple, aléatoire, qui conditionne l’expérience et la distinction de soi. C’est la dimension attentionnelle de l’expérience, dimension objective distinguante.

Une troisième dimension de l’expérience du Sens apparait comme résultant de la conjugaison des deux autres, subjective et objective. L’intentionalité instaure un temps qui marque l’espace des proximités distances d’une séquence d’évènements. Il arrive quelque chose qui se déroule, a une origine et un devenir. Cette dimension et aussi rationelle elle relie par le vecteur tension, temps, les multiples et l’aléatoire de l’expérience spatiale de l’altérité. Ainsi l’évènement, ce qui arrive, apparait comme se déroulant selon une séquence ordonnée, ordonnée dans le temps de la succession, ordonné dans l’espace de la manifestation des éléments. Cette dimension est aussi la dimension projective où l’expérience prend une extension spatio-temporelle.

Parmi les Instances en conSensus chacune vit une expérience de même structure mais pas du même lieu. Cette expérience primordiale apparait comme présence existentielle. Si dans cette présence le sujet se reconnait tel alors le moi émerge et de l’expérience naît simultanément un environnement auquel l’individu participe dont il n’est pas séparable tout en étant environné, conditionné par l’altérité en présence. Il apparait simultanément qu’une histoire se déroule hors de soi mais aussi avec soi devenant pour une part son histoire.

Ce sont les structures de l’expérience individuelle qui sont ainsi apparues, celle de soi comme individu intentionnel, entièrement embarqué dans une expérience de l’altérité sous le mode de l’aléa et du nombre. On devine que cette expérience primordiale ne va pas sans qu’une question de conscience se pose que l’on aura à traiter.

Sur ces bases on va retrouver le plan des affects comme expérience du jeu de présence – absence selon le Sens en conSensus. Ce plan articule les dimensions, subjective et objective. Pas d’affect sans sujet – soi ou sans objets – autres. Cependant, la distinction soi non soi réclame une expérience variée et une certaine conscience. Je suis affecté par la présence et l’absence surtout si cette dernière me prive d’un sentiment d’exister que je retrouve avec la présence. Cela dit c’est là une modalité vécue du jeu de conSensus.

Le plan de la corporéïté articule la dimension objective et la dimension projective, il est l’expérience du mouvement, transformateur de l’expérience, de l’expérience changeante mais d’une expérience ou soi et non soi se retrouvent comme dans un corps à corps, ces corps étant comme l’accumulation de cette expérience avec un grand nombre et une variété de circonstances et aussi d’altérités aléatoires. La corporéïté est l’expérience du Sens en conSensus comme interaction, corrélée avec celle des affects.

Le plan des représentations mentales articule la dimension subjective, intentionnelle du Sens comme vecteur orienté en conSensus avec la dimension projective qui déploie donc et projette ce qui figure l’expérience. Cette représentation est aussi celle de soi dans le rapport aux autres selon le paysage historique de l’expérience. Ce plan est corrélé avec les deux autres si bien qu’il n’est pas évident de savoir ce qui est la source ou l’effet. Il est aussi une expérience du Sens en conSensus.

La conscience de l’Instance par elle-même n’allant pas de soi alors il reste aux hommes cette expérience du Sens qui constitue la trame et la substance de leur existence. L’expérience du Sens est appréhendée comme expérience existentielle, ignorant même ce qui est Instance, Sens ou conSensus. C’est là la condition ordinaire, même à nôtre époque. C’est aussi ce qui conduit à chercher des causes dans le champ de cette expérience ou alors dans un au-delà transcendant qui manque, on l’a vu, la reconnaissance de la transcendance de l’homme dans son humanité même.

La structure de l’existence caractéristique, de l’expérience du Sens en conSensus est comme l’ombre portée de l’Instance humaine où cela se produit. Les idéalistes platoniciens chercheront quelques figures ou idées premières qui seraient à la source de cette expérience projetée. Les réalistes matérialistes focalisent leur réalisme sur une absolutisation d’un pan de l’expérience corporelle croyant le fixer comme support de leur existence. D’autres feront de leurs affects le référent d’une puissance à laquelle ils participent, dont ils jouent ou sont le jouet.

On voit là apparaitre les philosophies ou doctrines humaines comme une position existentielle qui en privilégie tell ou telle dimension ou composante. D’où cela vient-il? D’abord évidemment d’une absence de discernement du Sens et donc du conSensus qui explique par l’expérimenté la source même de l’expérience. Une question de conscience. Cela vient aussi du Sens qui est en conSensus. Nous l’avons laissé entendre, tous les Sens ne se valent pas. Les uns posent un aspect de l’expérience quitte à le sacraliser ou le diviniser comme source de l’existence tentant de construire une interprétation adéquate du monde et de l’homme. Les autres permettent de cultiver une conscience qui en vient à découvrir l’humanité en l’homme, avec le discernement des Sens en conSensus. A quoi cela sert-il? Nous le verrons dans le chapitre portant sur le bien de l’homme.

Au préalable il nous faudra approfondir les conditions existentielles de l’homme et les phénomènes humains.

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012 – L’Unité de l’homme

Sont récapitulées ici des questions essentielles lourdes de conséquences qui conduisent à la possibilité de dialogues avec d’autres conceptions fondamentales.

L’unité existentielle individuelle

Nous avons déjà vu comment elle rassemble différentes dimensions et composantes. L’unité qui défini l’individu est construite sur une ternarité dont on verra l’origine. D’une façon générale, l’unité dans l’existence est un rassemblement d’éléments, eux-mêmes participant à d’autres ensembles. Qu’est-ce qui fait le lien ? Il y a différentes thèses qui cherchent la réponse dans l’existence et engagent de nombreuses dispositions dans les affaires humaines, monismes individualistes, matérialismes, rationalismes. Il y a aussi, notamment, l’Humanisme Méthodologique qui découvre la source de l’unité existentielle dans l’Instance.

L’Unité de la personne et son Instance

On l’a que vu le principe d’unité c’est le Sens qui donne sa cohérence à chaque situation humaines et à sa position existentielle. L’unité existentielle «ensemble» se fonde sur un principe l’unité de Sens qui lui est transcendant. Tout ce qui ressorti de l’existence humaine trouve son unité dans l’Instance avec le Sens.

Mais il y a plusieurs Sens dans l’Instance et dans cette autre unité qu’est une Cohérence. Cette unité est au principe de l’unité des communautés par exemple, une unité faite d’une multiplicité de possibles selon le Sens qui prédomine dans le conSensus. Mais qu’est-ce qui fait l’unité de ces Cohérences ?

Il y a dans l’Instance de multiples Cohérences. Leur unité est l’unité d’être de l’Instance de la personne. C’est aussi son universalité d’être humain, son humanité semblable à toutes autres ce qui fait que des conSensus, différents, sont possibles.

L’unité des hommes

Cette unité du côté des principes transcendants de l’existence ne se suffit pas à elle-même. Si des universalités se construisent dans les communautés humaines à partir des Cohérences qui les sous-tendent, la question de l’humanité entière c’est-à-dire de l’ensemble des hommes est posée.

Nous abordons là la question de l’unité de l’Unique qui est le tout. Bien sûr la question de Dieu vient alors. Nous parlerons de l’Instant sachant qu’aucun terme n’est approprié. D’abord en termes de conscience nous verrons que la conscience existentielle n’atteint pas à la conscience de Sens mais peut y conduire. La conscience de Sens n’atteint pas à L’Instant mais peut s’y orienter. Nul n’est assez grand pour en savoir quelque chose de Dieu en lui-même disait Saint Irénée de Lyon. Dans la religion juive nous sommes aussi dans l’indicible. Ibn Arabi dans son traité de l’unité montre que toute unité vient de Dieu mais les noms de Dieu ne disent pas non plus l’indicible. Pour le boudhisme la question ne se pose même pas puisqu’elle est reconnue inaccessible. Alors il y a toutes les autres conceptions de Dieu y compris dans leurs négations qui sont en fait des réductions existentielles portées à l’absolu, du côté de la puissance ou de la Raison ou de la Nature par exemple. Rien de spirituel là-dedans sauf à rabattre le spirituel sur le mental ou l’affectif.

Cependant il est aussi possible de chercher dans une transcendance à l’existence directe cette Unité Unique, ratant ainsi la transcendance de l’homme de son Instance, en lui-même. On attribue alors à Dieu des propriétés de l’Instance Humaine ou en postuler l’existence de purs esprits, bons ou mauvais. Toutes les philosophies humaines, toutes les religions humaines, toutes les idéologies sont sous-tendues par une anthropologie et une certaine conception de ce qui est à l’origine de l’homme et des choses. Ce sont toujours des conceptions humaines révélatrices de Sens humains différents.

Il est à souligner que notre exploration de l’unité de l’homme nous a entrainé vers ces trois plans, entre eux transcendants, celui de l’Instant inconnaissable l’Unique, celui de l’Instance et du Sens, principe spirituel, celui de l’existence, ses unités d’ensembles et sa ternarité.

Des fondements de cet ordre appartiennent à l’humanité de l’homme, et se retrouvent dans toutes les situations et les affaires humaines. Tout se passe comme si c’étaient les scènes où se cherche et se trouve parfois la vérité de l’homme. Il y réalise son existence avec les autres mais ne se suffit pas à lui-même pour autant.

La connaissance de l’Instance humaine montre le lien entre ces questions essentielles et les situations existentielles et,on le verra, tous les enjeux de l’existence dès lors qu’ils s’orientent dans le Sens de l’accomplissement où se cherchent et se trouvent : vérité, liberté, unité.

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011 – Qu’est ce que le Sens ?

Tout d’abord il faut souligner l’importance et l’actualité de la question, en voilà un échantillon. Il faut en plus remarquer qu’ici le Sens est le constituant des Instances humaines. Le Sens est de nature humaine, une thèse peu fréquente. Ensuite le Sens est, comme l’Instance, transcendant à la réalité existentielle donc celle aussi de nos discours sur le Sens. Aucun discours n’est le Sens, peut le décrire mais tout ce qui est exprimé est expression de Sens. Autrement dit il faut «entendre» le Sens au travers de ce qui en est dit. Le Sens ne peut être montré mais des illustrations évoquant le Sens aident à y accéder. Nous n’avons pas épuisé ici la question qui ne sera abordée que progressivement au travers de prochaines leçons.

Notons encore le parallèle avec ce qui est souligné par Saint Paul, la question de l’esprit (des esprits d’ailleurs) et de la lettre. Le Sens est esprit, la lettre est non seulement le discours qui exprime le Sens mais c’est aussi toute l’existence. Le Sens est l’invisible et l’existence le visible, il est l’inconscient qui sous-tend le conscient, le principe à la source des réalités et même de leurs rationalités (du moins en première approche).

Le Sens comme position d’être

Un Sens est la position d’être dans laquelle nous sommes orientés dans un moment d’existence donné. C’est dire que tout peut changer en changeant de position ou de Sens. Un Sens est comme une orientation parmi toutes les orientations possibles. L’image de la boussole sera quelquefois utile.

Lorsque nous nous tenons dans un Sens alors nous voyons le monde dans une certaine logique avec ses critères de significativité. Changeons de Sens et le monde change à nos yeux. Positionnés dans un Sens alors les valeurs, finalités, aspirations, sont différentes d’un autre Sens. Ensuite dans ce Sens les rationalités de ce qui se réalise sont spécifiques. Il y a ainsi une cohérence entre conception du monde, valeurs, finalités et critères du bien, processus de réalisation et méthodes pour l’action. Sur le fond on pourrait dire que le Sens est le point commun, d’une épistémologie, d’une axiologie et d’une praxéologie ce qui les relie et fait le pont entre elles. Ainsi, être positionné dans un Sens donne une cohérence à l’existence, une disposition d’être se traduit par une position de vie. On en déduit qu’il peut être très important de discerner dans quel Sens se positionner et comment peut s’opèrer un changement de Sens. L’Humanisme Méthodologique en développe les possibilités.

Nous recommandons au lecteur de faire appel à son expérience de changements de Sens, points de vue, valeurs, façons d’agir. Il fera utilement appel aussi à l’expérience de ce qu’il connait autour de lui et envisagera que certaines différences plus essentielles dans les points de vue, postures, comportements sont dues à des différences de Sens, de positions de Sens, de dispositions intérieures. En même temps on reconnaitra des communautés de Sens, des positions communes avec les conséquences individuelles et collectives. Ce travail sur l’expérience personnelle est indispensable pour accéder aux questions de Sens.

Le Sens en Cohérences.

Il n’y a pas de Sens isolé sans qu’il soit pris dans un ensemble de Sens qui couvre tous les possibles. L’image de la boussole est utile il n’y a pas de Nord sans un Sud un Est et un Ouest et toutes les directions possibles à l’infini. Il en va de même pour le Sens. Cependant dès que l’on avance on va (en général) dans une seule direction à la fois. On se trouve disposé dans un seul Sens dans une situation donnée. En vérité il est possible que plusieurs Sens soient sollicités en même temps même si l’un prédomine. Ainsi même si l’on est disposé dans un Sens donné les autres ne sont pas loin et des changements peuvent se produire par l’influence d’autres Instances ou par détermination personnelle sous certaines conditions.

L’ensemble des Sens dont nous avons parlé ici est appelé Cohérence par convention et selon des analyses un peu plus pointues. Nous aurons ainsi à désigner Sens et Cohérences comme constituants de l’Instance alors que sens et cohérence, avec la minuscule, sont utilisés dans le champ existentiel.

Or il se trouve un grand nombre de Cohérences dans les Instances humaines. Même si chacun est impliqué différemment selon les situations de son existence, tous les hommes disposent de toutes les Cohérences humaines en eux. En cela tous les êtres humains portent en eux l’humanité entière, non pas dans leur existence, toutes différentes et interdépendante mais dans leur Instance personelle. Cela a une grande importance pour comprendre l’égale dignité humaine des êtres et la diversité des modes d’existence.

Le Sens en conSensus.

C’est là une autre clef majeure de l’Humanisme Méthodologique. Les relations entre les êtres humains sont, au fond, des relations de Sens c’est-à-dire des conSensus. Il s’agit ainsi d’une «communion d’esprit» autant les Sens sont de nature spirituelle. Ces conSensus sont la base, la source des situations relationnelles existentielles. C’est d’ailleurs l’expérience du Sens partagé entre les Instances humaines en conSensus qui constitue la structure et les réalités existentielles. On verra comment.

Les conSensus et leur relative permanence se traduisent par une relative permanence de l’expérience existentielle. Lorsque c’est tout un ensemble d’Instances qui se trouvent en conSensus alors c’est une communauté existentielle qui se trouve formée. Un aspect majeur de l’Humanisme Méthodologique est la compréhension des communautés humaines, indispensable aussi pour toute action humaine.

Comme les Sens ne sont pas isolés ce sont les Cohérences ou ensemble de Sens qui sont en conSensus, notamment pour les communautés, chacune caractérisée justement par sa Cohérence et ses Sens possibles et ensuite par tel ou tel Sens prédominant pour le meilleur ou pour le pire. Des Cohérences différentes sous-tendent des communautés culturelles différentes.

Le conSensus a déjà donné la cohérence des situations existentielles, la structure de l’expérience et de l’existence individuelle, l’existence des communautés humaines. Il est aussi à la base des dynamiques humaines. En effet c’est le conSensus qui suscite le mouvement d’exister (la vie); le mouvement relatif selon le jeu des relations; le mouvement de développement selon le Sens prédominant. Ainsi «ce qui meut» tant dans la vie, l’histoire ou l’activité humaines, c’est le conSensus. Or «ce qui meut» c’est la signification étymologique de l’énergie. Les physiciens ne savent rien d‘autre de ce qu’est en elle-même l’énergie. En voilà une solution dont l’Humanisme Méthodologique développe les conséquences tant dans l’analyse que dans l’action. Le travail de conSensus, si possible pour le meilleur, sera la clé majeure de «l’ingénierie humaine» et de «l’intelligence symbolique».

Un texte pour approfondir

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010 – L’Instance de l’homme

L’existence d’un individu comporte schématiquement trois dimensions structurantes et trois composantes.
C’est un objet particulier situé dans un contexte, un monde d’objets
C’est un sujet porteur d’intentions propres
C’est une vie en devenir dotée d’une histoire singulière

C’est une existence affective vécue
C’est une existence corporelle en activité
C’est une existence mentale de représentations.

Mais si l’existence d’un individu est tout cela, indissociablement, «celui» qui existe ainsi n’est rien de tout cela, en lui-même.

L’en soi de la personne humaine n’est, ni un objet, ni un sujet, ni un projet, ni une affectivité, ni une corporéïté, ni une conscience mentale mais il existe selon ces composantes.

Intervient ici la différence entre «être» qui serait «se tenir en soi, pour soi», et exister ou «façon d’être au monde» des existants. Cet «être» de la personne humaine, l’Humanisme Méthodologique le nomme Instance. La personne humaine est une Instance qui existe selon les modes spécifiques de l’existence humaine. Exister c’est se tenir hors (ex) de soi. L’Instance serait comme l’intériorité d’une extériorité existentielle. Elle est celui qui existe et dont l’existence est comme l’expression, la manifestation, l’incarnation.

Ce que nous découvrons ici c’est la transcendance de l’homme, de la personne humaine.
La transcendance est le rapport entre l’Instance et l’existence, entre être et exister.
Rien de ce qui constitue l’existence n’est dans l’Instance, rien de ce qu’est l’Instance constitue l’existence. Et pourtant l’existence est entièrement manifestation de l’Instance et n’existe pas sans elle, son principe, sa source. L’instance ne se connait qu’au travers de l’existence.

Pour faire image, je m’exprime par des mots, un langage, mais je ne suis pas mon expression qui pourtant représente ce que je veux dire, qui je suis. La «lettre» ou forme du langage n’en est pas l’esprit ou le sens mais l’exprime. La parole témoigne de l’être dans l’existence mais toute l’existence de l’individu témoigne de son Instance.

Tout ce que l’on peut dire, illustrer, ressentir à propos de l’Instance humaine, l’Instance de chaque personne, de notre personne n’est pas l’Instance mais une expression, une manifestation.

L’indissociabilité de tout ce qui constitue l’existence caractérise leur immanence. Il s’agit de ce rapport entre ce qui n’est pas séparé et constitue pourtant des aspects distincts du même individu dont le nom veut dire indivisible. Aucun de ces constituants n’est la cause des autres mais ils sont tous l’expression du même être, d’une Instance personnelle. La transcendance est un autre rapport qui n’est pas symétrique. D’un côté le principe de l’autre sa manifestation. Mais cette formulation est une image verbale on l’a compris.

Là vient une question : en quoi consiste cette Instance? Les hommes sont différents, leur Instance l’est-elle et comment? L’existence d’un individu est complexe, changeante, faite de multiples contenus affectifs, corporels, mentaux, de multiples intentions, de multiples projets, de multiples situations et contextes environnants. Il y a donc du multiple, de la diversité dans les instances humaines.

Ce qui constitue l’lnstance humaine c’est le Sens (écrit avec une majuscule comme pour Instance). Plusieurs Sens sont dans l’Instance humaine. Toute une complexité de l’Instance et ses Sens est à découvrir. Pour cela il faudra articuler ce qu’il en est des Sens dans l’Instance et ce qu’il en est de leur manifestation dans l’existence et ses multiples constituants. L’Humanisme méthodologique apporte là un éclairage, une «théorie» qui établi ce rapport qui explique sur la manière dont se construit l’existant à partir du Sens qui en est la source. Il montre aussi comment, à partir de cette manifestation existentielle, il est possible d’accéder au Sens, de l’élucider sous certaines conditions.

Notons ici que «théorie» n’est pas employé comme étant une construction purement formelle mais comme une voie d’accès à ce qui est, un témoignage révélateur, un chemin vers l’être. Comme souvent l’étymologie peut aider à trouver le sens.

Ce que montre l’Humanisme Méthodologique dans sa théorie, son anthropologie fondamentale c’est la façon dont se réalise l’existant à partir du Sens, notre existence à partir de notre Instance. Il montre que cela se réalise par le déploiement d’une structure particulière, la structure cohérencielle ou cohérenciel. Les trois dimensions de l’existence sont celles de ce cohérenciel de même que ses trois composantes. En quelque sorte, ce qui est Sens dans l’Instance se manifeste selon une structure cohérencielle celle des constituant de l’existence individuelle. Ce sera d’une très grande utilité pour comprendre et décrire les manifestations humaines, les phénomènes humains, les affaires humaines.

Cependant il y a encore une clé, un apport décisif de la théorie de l’Instance et de l’existence humaine c’est la question du conSensus. D’abord si les hommes sont des êtres de Sens alors leurs relations sont des relations de conSensus ou Sens partagés en commun. C’est le principe des relations humaines, de nature humaine, qui sont au fond des relations de Sens. Les communautés humaines sont la mise en commun de Sens (multiples). Ensuite le cohérenciel est la structure de l’expérience du conSensus. Ce qui fait l’existence c’est le conSensus entre les Instances. Notre existence est à la fois l’expression de notre être, notre Instance mais aussi celle des conSensus partagés avec d’autre hommes et dont elle dépend.

Si notre existence individuelle nous est propre elle est aussi dépendante des autres Instances. Nos existences sont interdépendantes, radicalement. L’existence humaine est ainsi toujours communautaire dans tous ses aspects mais elle est l’existence individualisée de nos êtres – Instances qui nous sont propres, personnelles, uniques.

C’est pour cela que l’homme est un être potentiellement libre alors que son existence est contingente, dépendante des autres Instances et de ses conSensus. Nous existons par et pour les autres selon notre Etre propre dont la reconnaissance et la liberté d’être, de conSensus, ne sont pas donnés d’avance. C’est là l’enjeu et le chemin de notre accomplissement. Mais ce sera pour une autre partie consacrée à la question du bien de l’homme et son devenir.

Ici il va nous falloir d’abord explorer les questions fondamentales de Sens et de conSensus. Un autre chapitre sera aussi consacré aux réalités existentielles puis un autre à la conscience humaine et le suivant aux communautés humaines.

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009 – L’intégration existentielle

Notre existence nous apparait une, malgré la multiplicité des composantes, des dimensions, des situations, des lieux et des temps. L’individu est bien un, indivisible, même si sa complexité est grande. L’humanisme Méthodologique montre pourquoi et comment cette question de l’unité et de la multiplicité se pose à différents niveaux. Il en sera question dans d’autres leçons. Ici on envisagera cette intégration de notre existence sous deux modes : le mode structurel et le mode relationnel.

L’intégration structurelle de l’existence individuelle.

Une première articulation est à noter. La dimension intentionnelle du sujet est rapportée à la dimension objective et contextuelle pour former la dimension historique rationnelle.

En effet pas d’intention qui ne soit située et pas de situation qui ne soit dépendante de l’intention qui la vise. Pour le tireur à l’arc, la cible concentre son intention en même temps qu’il en fait un objet d’attention. Si la cible évoque le tir c’est l’intention qui le réalise. C’est alors que le déroulement de l’acte peut se produire en conséquence. Cette analyse sommaire indique aussi que ces trois dimensions font partie de la même expérience, de la même réalité individuelle. Bien que différentes elles sont indissociables sauf par la conscience ou l’inconscience. Cela veut dire que les réalités humaines, individuelles (et peut-être au-delà) peuvent s’analyser selon ces dimensions distinctes mais ne peuvent s’expliquer par l’une seule qui serait la cause de toutes les autres. Ainsi pour un humanisme, les affaires humaines existentielles doivent intégrer ces trois dimensions.

Les trois composantes de l’existence individuelle sont comme les trois faces de la même chose. L’une ne va pas sans les deux autres. Pas d’affects sans représentations et pas de représentations sans affects. Pas d’affects sans corporéïté et pas de corporéïté sans affects. Pas de corporéïté sans représentations et pas de représentations sans corporéïté. Les trois sont indissociables. Ce sont des manques de conscience ou des déviances qui les clivent, réduisent à l’une ou l’autre, ou posent l’une comme fondement des autres. La cohérence existentielle est alors une caractéristique d’un humanisme véritable.

Il semble que des affects provoquent des représentions mentales ou l’inverse. Il semble que des représentations mentales provoquent des comportements matériels ou l’inverse. Il semble que des affects provoquent des comportements et réciproquement. Mais il semble, alors qu’elle sont co-extensives, qu’elles trouvent leur source commune ailleurs, qu’elles sont des expressions d’un «exister» qui se réalise comme existence.

Pour approfondir il faut encore noter que le plan affectif réalise, manifeste, un rapport entre «sujet et objet», intentionalité et contextualité. Est-ce le contexte qui émeut le sujet ou le sujet qui ressent le contexte selon sa position intentionnelle? Les deux vont de pair. Le plan corporel manifeste un rapport entre la dimension objectale des conditions environnementales et la dimension historique dans laquelle s’inscrivent les comportements, les corps et les actes corporels. Le plan des représentations est la projection mentale de l’intentionnalité selon un développement historique, il montre intentionnellement ce qu’il vise et réalise cette intention en la projetant. Nous consolidons ainsi l’intégration des différentes parties indissociables de notre réalité existentielle individuelle. Nous sommes un, malgré cette diversité et grâce à leur cohérence.
Il est donc essentiel pour la considération humaniste de l’humain d’envisager toutes ces dimensions et ces aspects à l’encontre des réductionismes ou des consciences limitées.

Il n’y a pas de corporéïté indépendante, d’affectivité indépendante, de représentations mentales indépendantes, d’objectivité intentionnelle indépendante, d’objectivité contextuelle indépendante, de rationalité projective indépendante. L’unité de l’homme est aussi dans l’épaisseur de son existence intégrée.

L’intégration relationnelle.

Il y a une autre approche de l’intégration des composantes et des dimensions de ce que nous sommes c’est leur investissement dans les relations humaines.

Notons par exemple que l’intentionnalité peut viser l’autre comme objet dans son environnement mais elle peut aussi être partagée avec l’autre visant un environnement commun. De même notre objectivité propre peut être visée par une intentionnalité tierce ou bien partagée en compagnie des autres. Les deux exemples sont en fait simultanés : partager une même situation pour investir de concert la même intentionnalité. A ce titre les modèles «émetteur – récepteur» de la communication inter-humaine, sont calamiteux par leur carence humaniste. Les métiers de la communication en sont affectés.

Dans les relations humaine se partagent affects, représentations, comportements et aussi histoire et projets. Ce sont des relations de co-existence, de partage existentiel. La diversité des relations fait que deux existences sont toujours différentes mais aussi que des relations fréquentes et engagées constituent un partage d’existence où celle de l’un et de l’autres peuvent se confondre. Il en arrive que les séparations sont difficiles ou encore que cette confusion se fait difficile à supporter. Les relations humaines investissent nos existences et en arrivent à les constituer dans leurs différentes composantes et dimensions.

Notons que dans un milieu relationnel donné les représentations mentales sont fortement partagées, les affects et sensibilités aussi, les comportements, les modes d’organisation matérielle et la «gestion des corps sont communs. Le milieu de vie est le même, les intentionalités se partagent souvent et le développement d’une histoire commune se construit. On découvre alors que l’intégration de nos existences individuelles se fait aussi par le partage dans une existence commune.

Du coup se pose la question de l’existence d’une individualité propre alors que les existences sont de part en part largement partagées. Comment la personne peut-elle trouver son autonomie, sa liberté alors que par les relations qui tissent toute son existence, celle-ci en est massivement dépendante. C’est le lieu des plus grandes erreurs humaines, des principales problématiques de l’existence individuelle et collective, de la nécessité d’un humanisme qui comprenne les hommes et les phénomènes humains.

Il faudra encore entrer dans un autre stade de connaissance de l’homme, de la personne et de l’humanité.

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008 – Dimensions humaines

Après le contenu de l’existence individuelle et les trois composantes : affective, corporelle et mentale, il faut encore s’arrêter sur trois dimensions qu’il est indispensable de prendre en compte pour comprendre ce qu’est l’homme.

La dimension objective, l’homme objet

C’est celle de son inscription dans un monde, un milieu, des situations comme objet parmi des objets. Il est vrai que l’on peut voir l’homme comme composé d’atomes et molécules, les mêmes que l’on trouve dans le monde environnant et l’univers entier. Tout se passe comme s’il était issu de cet environnement dont il se distingue comme un objet particulier parmi d’autres, d’autres individus humains et bien d’autres objets. Sous cet angle il est entièrement conditionné par son milieu dont il se distingue non par sa nature mais par sa composition particulière. Ainsi on peut voir chaque individu comme déterminé par son environnement et les situations où il se trouve. Il dépend donc aussi des aléas qui s’y présentent. Hasard et nécessité sont les maîtres mots de cette détermination de l’existence humaine et de chaque individu.

Apparait alors une question. Peut-on réduire l’homme à cette dimension, en faire la base de toute son existence qui se déduirait des conditions environnantes et des réactions de ses propres composantes à ces conditions ? Cette conception est très présente dans le monde actuel. Elle s’apparente au matérialisme et ses variantes qui font de la matière le seul principe d’existence. Bien sûr, cela ne dit pas d’où vient la matière ni pourquoi les compositions matérielles pourraient être bonnes ou mauvaises. Cela conduit à faire des conditions environnantes les seuls déterminants de l’humain et de leur transformation, la condition de tout changement dans l’existence. On peut se demander à l’inverse si l’existence humaine peut faire abstraction de cette dimension. On en verra des tentatives.

La dimension intentionnelle, l’homme sujet

Nous sommes capables de volonté, de détermination de nos orientations, de nos choix et même si ce n’est pas consciemment nous sommes porteurs d’aspirations, de désirs, de motivations. Cette tension qui se traduit en intention nous fait appréhender le monde, les situations, les autres selon sa logique propre. De cette manière il semble que nous ayons le choix de conduire notre existence, de nous assigner des buts, de choisir des situations à vivre que ce soit à court terme ou avec des visées plus lointaines. Cette autodétermination apparait comme relevant d’un libre arbitre qui n’est pas seulement délibération mais détermination et engagement de soi. L’individu est le sujet de cette intentionnalité. En cela il n’est pas «sujet à» des intentions qui le traverseraient comme certains le voudraient mais «sujet de» ses choix, ses initiatives et en définitive libre et responsable.

Apparait alors une question, celle que l’on pourrait appeler du libre arbitraire. L’individu pourrait déterminer arbitrairement ses choix, sa volonté, ses intentions, ses principes et ses valeurs. Cette liberté serait synonyme d’absence de contraintes, de conditionnements, de déterminations exogènes. L’individu est alors un tout pour lui-même face à d’autres individus et un environnement qu’il utilise à sa convenance. C’est là le principe de l’individualisme. Comme cette dimension intentionnelle ne se maîtrise que progressivement et non sans difficultés, l’individualiste soit le méconnait se croyant seul déterminant de son existence soit s’en fait revendicateur, confiant à d’autres le pouvoir de le satisfaire.

La dimension historique, l’homme en projet.

Comment définir l’existence, d’un homme, d’un individu humain sans intégrer son histoire, le déroulement de sa vie qui fait qu’il change sans cesse, qu’il évolue, qu’il est engagé dans des buts, des projets qui le mobilisent et transforment son existence. Projets éducatifs, projets professionnels, projets simplement d’occupation, de distraction, toute notre existence est impliquée dans ce mouvement incessant. Même dans le sommeil se fait un travail d’intégration de l’expérience précédente qui prépare les suivantes. Ce développement de l’existence n’est pas seulement une succession temporelle d’évènements, elle constitue une histoire comme un récit qui est celui de l’existence de chacun, notre existence propre. Nous sommes aussi une histoire et son récit commence avant notre naissance dans une histoire qui nous précède mais dont l’héritage nous est propres. Notre histoire nous succède aussi dans les héritages que d’autres auront intégré. En outre dans notre histoire et les projets qui la construisent sont impliqués bien d’autres hommes, d’autres existences, d’autres projets humains auxquels nous participons et qui participent à la nôtre. Cette dimension projective qui nous met en avant, en devenir, en développement, nous fait participer à un monde humain et son histoire même pour un modeste épisode.

Un problème se soulève alors, celui de l’interdépendance qui fait de notre existence la conséquence rationnelle des déterminants extérieurs à nous-mêmes. Nous serions alors le jouet de cette histoire du monde et des moments dans lesquels nous avons été placés. Les normes, les règles, les enjeux, les péripéties, les rationalités des circonstances de notre existence en seraient les déterminants. Cette logique rationaliste nous invite à ne pas déroger aux structurations hétéronomes qui nous déterminent, à faire des conformités nos buts et nos modes d’existence. Le rationalisme existentiel est normatif sur tous les plans d’une existence normale. Encore un réductionnisme très actuel qui dicte les trajectoires et les statuts, les places et les comportements. Les zones qui échappent au contrôle normatif sont comme un espace privé, un en soi, qui menacerait toujours l’espace public, ses règles et ses enjeux.

Ces trois dimensions s’articulent avec les trois composantes de l’existence individuelle. Leur unité ou leur dissociation structurent les conceptions de l’homme et donc celles, implicites de l’humanisme.

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007 – L’existence mentale

Nous nous représentons, le monde, les autres, nous-mêmes et ces représentations ont pris une ampleur considérable à tel point qu’elles passent souvent pour véritable réalité. Nos institutions, les lois juridiques ou scientifiques, les modèles, les images bien sur mais aussi le langage dans sa structure formelle et toutes les formes linguistiques, tout cela est représentations. Nos organes, nos gènes, notre cerveau même, nos pensées, nos idées, notre propre identité sont des représentations que notre existence corporelle par exemple ne nous donne pas à expérimenter.

Chacun, nous avons nos représentations issues de longs apprentissages qui sont mis ainsi en perspective, issues aussi des savoirs et des communications auxquels nous sommes attentifs. Le passé, dès qu’on l’envisage, n’est plus présent sinon dans nos représentations, mémoire, souvenirs, histoire, récits, idées apprises, pensée personnelle. Quant au futur qui nous invite à construire des projets il n’est que représentations au travers justement de ces anticipations qui ne peuvent être que mentales en attendant d’être éventuellement physiques ou matérielles. Ainsi la continuité dans le temps de notre propre individualité n’existerait en conséquence que sur le plan mental même si elle se projette (mentalement d’abord) sur notre corps et que nos affects en sont affectés.

L’existence individuelle est, pour les humains, fortement structurée par les représentations mentales. Celles-ci issues et constitutives de notre expérience le sont aussi de ceux avec qui nous les partageons dans les communautés culturelles où nous vivons.

Le monde des représentations mentales est-il lié à celui des corps et celui des affects? Nous le montrerons mais il arrive qu’il semble en être déconnecté. Constituant un monde en soi, le champ des représentations mentales conduit à des constructions de plus en plus vastes et complexes, de plus en plus étendues nous ouvrant à des savoirs et des projets de plus en plus sophistiqués. C’est là le jeu de l’intelligence mentale mais celui aussi du délire, celui de l’imagination et celui du fantasme, celui de la reproduction conformiste et celui de la création.

Nos idées de nous-mêmes et des autres ont une incidence semble-t-il sur notre vie, nos choix, nos motivations, et aussi nos actes, nos comportements, notre vécu, nos affects, tant pour notre existence individuelle que nos affaires collectives. Naît ainsi un problème, particulièrement pour notre temps, celui de savoir si ces représentations sont la cause des réalités et réalisations humaines ou si elles en sont un moyen (terme), une médiation, une composante. A ce titre le statut de la raison qui semblerait ordonnatrice de nos représentations mentales est posé soit comme cause, soit comme composante ou comme moyen.

C’est en tout cas pour beaucoup à nos représentations mentales que nous faisons appel dans l’écriture et la lecture, dans la science et la philosophie, dans toute réflexion et pensée, y compris celle-ci.

Une caractéristique de nos représentations mentales c’est d’établir des continuités dans le temps ou l’espace et de ce fait, de pouvoir construire des modèles complexes de plus en plus étendus et cohérents du point de vue de la rationalité. De ce fait notre identité individuelle se trouve inscrite dans nos systèmes de représentations tels que nous les avons construits ou acquis. Ainsi il y a une certaine corrélation entre nos systèmes de croyance intellectuels (mentaux) et notre existence mentale et toute la représentation de soi. Par ailleurs notre représentation de nous-mêmes est une construction faite de multiples expériences de notre existence propre. La corrélation entre les deux semble souhaitable aux risques de dissociations de notre identité, différente selon les conditions et les milieux. Nous sommes alors dans ce cas multiples, en quête de notre vérité et de notre unité.

Par ailleurs la cohérence entre notre vision ou représentation de nous-mêmes et celle du monde environnant nous conduit à des harmonies, des cohérences ou des incohérences qui, à l’extrême, forment ces maladies mentales qui s’accompagnent d’affects douloureux ou de symptômes physiques. Nous en revenons là au problème de la relation entre les différentes composantes de notre existence individuelle. Il sera approfondi plus loin. Cependant, il ne pourra être résolu uniquement sur le plan de la pensée bien que ce soit un moyen particulièrement utile.

Pointons à nouveau le fait que le développement mental, des idées, des savoirs de la raison ont été pris comme le gage de l’émancipation individuelle des conditionnements matériels et affectifs. Du coup le clivage entre les représentations et les autres plans de l’existence a pu s’en trouver aggravé avec ce qu’on pourrait appeler un humanisme des représentations idéales ou des représentations structurelles. Ce sont aussi développées des propositions dogmatiques allant du récit aux visions directrices, de l’injonction formelle à la normalisation de la pensée ou même des corps et des affects.

Le statut des représentations mentales dans la conception de l’homme est un point crucial surtout dans un temps de crise des représentations qui remet en question ses édifices et ouvre à d’autres voies de connaissance de l’homme, des finalités et des activités humaines.

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006 – La corporéïté humaine

L’existence corporelle pose quelques problèmes classiques. Avons nous un corps ou sommes nous un corps ? Mais d’abord qu’est-ce que l’existence sur le plan corporel.

C’est d’abord un corps physique, composé de matière comme tous les corps physiques du monde matériel avec leurs propriétés mécaniques ou chimiques. On notera que ce corps est inscrit dans un environnement matériel avec lequel il est en interaction permanente et sans lequel il n’existerait pas. Nous disposons d’un corps entièrement dépendant du milieu matériel d’où il provient et où il retourne et qui le supporte.

Le corps de notre existence individuelle est aussi organique et à ce titre semble être en activité comme tous les organismes vivant. Il faut dire que si nous expérimentons cela notamment par des fonctions biologiques comme l’alimentation ou la respiration parmi bien d’autres, nous n’avons pas souvent l’occasion de voir nos organes et nous en croyons des représentations ou des descriptions qui nous sont proposées. Ainsi il faut distinguer notre expérience existentielle corporelle des représentations qui en sont faites. Il y a donc une corporéïté d’expérience et une corporéïté représentée et même fantasmée.

Ensuite notre corps, nous l’expérimentons au travers d’interactions physiques. C’est dans cette interaction que notre corps prend consistance pour notre expérience. La résistance des corps matériels qui nous environnent nous fait expérimenter et éprouver la résistance et la consistance matérielle de notre corps qui, en définitive, rassemble l’ensemble de ces expériences d’interaction. Il est probable que pour un sportif spécialisé, le corps entrainé soit différent que pour un autre qui ne l’est pas ou bien autrement. Les habitudes comportementales forgent nos corps en même temps qu’elles en sont l’exercice.

C’est un autre aspect fonctionnel, comportemental de notre corporéïté que d’établir des comportements d’interaction avec notre environnement et de ce fait d’acquérir des comportements efficaces, des habiletés, des capacités physiques par la mobilisation de propriétés physiques, même dans l’apprentissage du langage, des gestes, des habitudes, des modes de fonctionnement de tous ordres. L’apprentissage construit ces capacités d’exercice approprié de nos fonctions corporelles d’interaction avec d’autres corps.

Notre existence corporelle est ainsi soumise tant à ses conditions environnantes qu’aux capacités acquises. Ainsi celles-ci ne permettent pas au petit enfant de survivre par lui-même mais à tous d’exister sans le monde, matériel et corporel notamment. Cette existence réclame entretien, protections, réparations pour sa subsistance et sa pérennité. Ce sont des activités complexes impliquant des organisations avec d’autres corps et choses matérielles et qui se constituent comme conditions d’existence corporelle.

Cette existence corporelle se caractérise aussi par le fait que notre corps n’est pas le même au début de notre existence, tout au long de ses âges et à la fin. Il est en transformation permanente et cette transformation réclame des activités spécifiques de croissance ou de développement par exemple, dépendant de ces âges. Il est vrai que nous pourrions considérer que cela occupe toute notre existence et la constitue surtout si nous y rajoutons des activités motivées par la recherche ou l’évitement de sensations, d’émotions qui servent de ligne directrice à beaucoup de nos activités corporelles celles de l’enfance particulièrement.

Subsistance, apprentissages, interactions, développement, défense et protection, entretien et réparations, activités utilitaires ou vouées à quelque plaisir, organisations interactives de production, de subsistance, de défense, de confortation (confort), de consommation d’intrants, d’éliminations de déchets sont des éléments de l’existence corporelle qui, on le sait, peut sembler constituer la composante la plus important de notre existence sinon la seule qui vaille.

Il reste que c’est dans une activité d’interaction corporelle que d’autres corps viennent à apparaître et que s’entretient ainsi une chaine de production et de reproduction des corps. Cela nous différencie-t-il d’autres populations animales ? Il nous est souvent suggéré que des corps matériels mécaniques, des machines auraient une existence similaire et même nous remplaceraient après avoir interagi avec nous comme c’est le cas dans un monde mécanisé et rempli d’électronique comme le nôtre.

Mais notre corporéïté, corps et comportements, organisation et activités sont très liés aux représentations qui évoluent avec les époques, les sciences, les paradigmes, si bien que ce qui nous parait stable et immuable dans l’existence corporelle des hommes est mis en question, se transforme sans cesse. Les techniques médicales, la bionique, les interactions à distance, le confort des corps, font que notre existence corporelle est appelée comme toujours à changer profondément. La génération assistée, les techniques d’entretien et de contrôle, les cultures évolutives, les équipements, font de l’existence corporelle si stable semblait-il pour beaucoup un terrain de transformation majeur de l’existence humaine.

Il est intéressant de noter que le moteur de l’expérience et de l’activité corporelle est bien souvent l’affectivité, on pourrait dire aussi leur motivation sous cet aspect-là. La construction de la corporéïté dépend de l’expérience affective en même temps qu’elle la renouvelle. Les structures affectives deviennent pour une part les structures comportementales de la corporéïté. On verra plus loin à quel point.

Il y a un autre plan d’existence qui est conditionné par l’expérience corporelle et qui la conditionne en retour c’est l’expérience mentale. Outre qu’elle peut précéder ou accompagner l’expérience corporelle elle en est aussi une représentation. De ce fait par exemple il est difficile de savoir si la représentation du corps est la cause ou la conséquence de l’expérience corporelle. Le «schéma corporel» n’est-il pas aussi le corps de l’expérience corporelle. De même qu’avec le plan de l’affectivité on ne sait pas d’évidence celui qui précède ou qui suit. Cependant, les conceptions de l’homme vont souvent avec la primauté donnée à l’un ou à l’autre.

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005 – L’affectivité humaine

L’affectivité est l’ensemble de ce qui est éprouvé, ressenti par le fait d’être affecté par quelque chose d’autre, quelqu’un d’autre. Cette affectation, relative à un rapport, est éprouvée selon de nombreuses variations sensibles. Les sensations sont du même ordre comme les sentiments, les appréciations. Cet «éprouvé» peut prendre des formes subtiles ou plus violentes à tel point que l’on peut ressentir un débordement d’émotion, ou bien de passion. La gamme est très vaste et même étendue, affinée par des activités comme la musique ou toutes sortes de pratiques, de rapports aux choses et aux autres destinés à vivre des sensations, des émotions, des sentiments ou bien, au contraire, destinés à éviter, réduire ou fuir certaines sensations.

Il y a une corrélation entre le vécu, l’éprouvé et la relation entre soi et non soi. Cette dimension de l’existence humaine sert de repère et de guide pour rechercher une bonne expérience sensible, affective ou pour en éviter une mauvaise. Sentiment de bonheur comme de malheur en font partie, comme le bien être ou le mal être. Il faut y rajouter toute la gamme des jouissances et des souffrances, plaisirs et douleurs.

Exister, pour une part, c’est éprouver cela. Si on imagine qu’il n’y ait aucune sensation, aucune affectation alors il n’y a plus d’existence – vécue. A l’inverse l’existence prend une épaisseur, une vigueur différente en fonction de la nature et de l’importance de cet éprouvé. A tel point que cela peut paraître l’essentiel de l’existence, le reste (que nous examinerons aussi) secondaire. Pour aller plus loin il est même possible pour certains de considérer que c’est là le fondement même de l’existence et pourquoi pas sa finalité, le reste, accessoire. L’hédonisme y ressemble mais aussi des formes de misérabilismes ou de macérations où le mal être est jugé mieux que rien ou la condition humaine elle-même. C’est dire l’importance de cette dimension même pour ceux qui veulent en faire abstraction.

Cependant une caractéristique de cet éprouvé est tel que par lui-même il ne permet pas de différencier le soi et le non soi et donc le rapport d’affectation réciproque. Boris Cyrulnik dans «La naissance du sens» montre bien comment, avant la naissance, le vécu ne permet pas encore la différenciation. Juste après la naissance il semble bien que ce soit encore le cas et qu’il faudra de nombreuses expériences ou épreuves de séparations pour que la distinction soit possible. On peut même dire que des immaturités résiduelles portent sur cette indistinction, cette confusion du soi et du non soi pas encore résorbée. Mieux, il arrive que la quête d’un état affectif, du vécu d’une émotion ou d’autres affects soit assimilable à une régression à un stade de fusion/confusion affective.

Il faut alors pousser l’analyse sur le fait que l’éprouvé soit identifié comme, non pas l’effet de la présence de l’autre, mais son existence même. Par exemple éprouver une émotion agréable à l’écoute d’une musique fera dire que c’est la musique qui est belle. Ainsi nous attribuons des qualités aux gens et aux choses qui ne sont que l’expression du vécu dont nous leur attribuons d’être la source en en étant seulement réceptacles, lieu d’un effet. Inversement il nous arrive de nous identifier à ce vécu de se sentir bien et d’en être bien sinon quelqu’un de bien. C’est par exemple le cas si des affects agréables, répétés lors de multiples relations nous font considérer d’être quelqu’un de bien, d’éprouver une confiance une estime de soi. L’inverse arrive et même des cycles d’exaltation et de dépression, d’auto appréciation positive ou négative. C’est là un des ressorts important de l’existence humaine notamment dans la construction de la personnalité.

Pour aller plus loin il est même possible que l’éprouvé paraisse comme une sorte de puissance qui affecterait les uns et les autres dans leurs rapports. Comme si l’éprouvé ne venait pas de l’un et l’autre et leur relation mais de l’ambiance, du milieu, ou de quelque puissance tutélaire ou maléfique, qui les affecterait en satisfactions ou punition, récompenses ou peines.

On devine que sur ces confusions se construisent des mondes fantasmés, des identités aléatoires qui font nos existences selon une part qui parait plus ou moins déterminante. Et pourtant c’est sur ces bases que se construisent nos existences et les autres dimensions. De ce fait on peut qualifier cette dimension de l’existence d’archaïque. Archaïque comme cette confusion primitive et les considérations ou tendances qui s’y attachent. Archaïque aussi comme ces arches qui soutiennent et sous tendent toute construction, ici de notre personnalité (même si on n’a pas défini encore cette notion là).

On peut penser aussi que les situations relationnelles, avec les autres et les choses dans les débuts de l’existence, accumulent une expérience qui sera structurante d’une personnalité tant pour ses potentialités que pour ses handicaps. Les «structures affectives» des expériences premières forment les problématiques que nous aurons à vivre pour les cultiver les subir ou les dépasser.

Reste une question que nous allons tenir en suspens : sommes-nous ces affects où sont-ils seulement une part de notre expérience existentielle, de l’existence vécue qui est la nôtre? La question de l’amour n’est pas loin mais restera ici aussi en suspens.

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004 – Qu’est ce qu’un homme ?

Voilà une question que même les philosophes se posent rarement. Ils ne proposent guère de réponses comme s’ils étaient sidérés devant les «avancées de la science» et soupçonneux devant les «dogmes religieux». Tout un chacun croit la question réglée, confiant à la tradition, aux savants, aux spécialistes le soin de connaître le lien entre ce qu’est l’homme et les affaires humaines que nous avons à traiter dans notre existence. Pourtant si la question n’est pas posée des réponses nous sont distillées implicitement à longueur de discours et de communication publique. Il est vrai que dans toute considération sur l’homme, sur le monde, sur les problèmes et les solutions, sur les situations que nous vivons il y a une conception implicite de l’homme, son bien et la façon de s’y prendre. C’est le rôle de l’Humanisme Méthodologique d’y mettre quelques lumières.

Parmi les conceptions on en citera trois qui prédominent.

 L’homme est un animal singulier.

Comme tel il est animé par des pulsions, des sentiments, qui régissent ses comportements. Pour les uns c’est le pire des animaux pour les autres c’est le meilleur ou bien les deux à la fois. Le coeur de l’homme, là où réside son humanité, c’est son âme que certains diraient «animale», l’âme animale qui anime, qui meut, une âme dotée de puissances, influencée par des puissances, bonnes ou mauvaises. La référence méfiante ou révérée au coeur, aux émotions, aux sentiments, aux pulsions sinon aux instincts structure ici la plupart des jugements sur les hommes et leurs affaires. Il y a un humanisme des bons sentiments qui se fonde sur cette conception de l’homme.

L’homme est un organisme biologique.

Comme tel il est entièrement régi par les lois de la nature des choses. Son corps est le véhicule de son fonctionnement avec toute la complexité de son organisme et toute celle des interactions avec le milieu environnant. Cette conception, étayée par une biologie génétique qui se veut explicative du fonctionnement de l’homme va aussi avec la critique des dysfonctionnements qu’il infligerait à son milieu par ses propres dysfonctionnements. L’homme aurait-il ce privilège d’être parmi tous les êtres naturels le seul capable de transgresser sa nature ? Sur le modèle naturaliste biologique, l’économie systémique ou une certaine bio-sociologie sont développées. N’y aurait-il pas là aussi une sorte d’humanisme du bon fonctionnement, conforme aux lois naturelles, un humanisme de l’équilibre ?

 L’homme est une conscience intellectuelle.

Cette conscience émergente est appelée à se développer et l’humanité à se réaliser ainsi. L’homme n’est pas un donné mais un devenir. La raison est le vecteur de cette réalisation de l’humanité. Son exercice dans la réflexion, la conduite et l’organisation rationnelle de son existence et de la cité, est l’enjeu des affaires humaines. Le développement de cette rationalité qui réalise l’humanité établit une hiérarchie des compétences humaines de telle façon que les plus avancés, une élite, encadre les moins avancés pour qu’ils progressent. L’humanisme, éclairé par la raison (ses « lumières »), vise le progrès humain en s’émancipant de la prévalence des dimensions animales ou biologiques qui doivent être ainsi contrôlées.

Ces trois conceptions ont, bien sûr, de nombreuses variantes et surtout de nombreuses illustrations ou traductions sans couvrir tout le champ des conceptions de l’homme

L’ Humanisme Méthodologique met en évidence que ces trois types de conceptions privilégient chacune une des composantes de l’existence individuelle en y réduisant l’humanité de l’homme. L’existence de l’homme en tant qu’individu se déploie selon une structure dite le « cohérenciel » dont l’origine sera explicitée ultérieurement. Selon cette structure cohérencielle de l’existence individuelle trois composantes se dessinent.

  • La composante affective ou sensible par laquelle l’individu s’éprouve et éprouve le monde environnant et les autres hommes.
  • La composante corporelle par laquelle l’individu interagi avec l’environnement selon des comportements organisés grâce à son organisme physique.
  • La composante mentale par laquelle l’individu se représente et se représente le monde de telle façon qu’il construit une identification relative.

Ces trois dimensions s’intègrent ensemble dans un quatrième plan qui est le plan relationnel et celui des rôles dans la société des hommes et ses communautés.

Il suffit d’enlever une composante pour qu’il n’y ait plus d’homme. Ces composantes ne sont pas des éléments juxtaposés. Elles sont comme différentes facettes de la même chose, de l’existence de l’individu. Il faudra comprendre pourquoi celles-là et d’où vient cette structure cohérencielle dont il y a encore beaucoup à dire.

Tout d’abord on notera que l’individu comme objet n’existe pas hors d’un contexte, celui du monde environnant auquel il participe. L’homme comme sujet est aussi le siège d’une capacité intentionnelle, de vouloir par lui-même, au-delà des simples pulsions et conditionnements qui le traversent. L’homme n’existe pas non plus en dehors de l’histoire, d’une histoire, de son histoire ni dans une instantanéité abstraite, un présent figé hors du temps, ni dans un espace hors du monde. En outre cette histoire est celle d’un développement, d’une évolution tout au long d’une vie et chaque élément de l’existence participe et contribue à cette histoire, celle de l’homme comme projet.

Tout cela qui caractérise et détermine l’existence individuelle n’est pas le tout de l’homme. Son Instance on le verra trouve à s’exprimer, s’incarner dans cette existence-là mais ne s’y réduit pas. Mais cela est un autre chapitre de l’Humanisme Méthodologique.

 

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003 – Un Humanisme Méthodologique

1 – Une conception de l’homme qui rend compte de la diversité des conceptions de l’homme par l’homme. En cela elle s’en inspire et en reconnait la logique, la génèse, les sources humaines, les implications et les conséquences, comme aussi de celle qu’elle élabore. Cette conception est en même temps celle des phénomènes humains. L’Humanisme Méthodologique constitue ainsi une science de l’homme et des affaires humaines.

C’est aussi une conception de la réalité, celle de l’homme et du monde, comme expérience et conscience humaines partagées.

De ce fait, l’anthropologie de l’Humanisme Méthodologique est aussi comme la science des sciences des hommes, autant qu’elles sont toutes des actes humains portant sur des réalités d’expérience humaine, donc sur des phénomènes humains. La compréhension du monde, des choses, des situations, relève de celle des phénomènes humains. Elle est aussi par elle même un phénomène humain intelligible.

On peut dire que c’est un humanisme radical qui place l’homme au centre des affaires humaines, par science et conscience. Il assume ainsi le fait que son point de vue est toujours point de vue humain tant pour la connaissance, les enjeux et l’action. Notons tout de suite qu’il y faut l’implication des communautés d’hommes et pas d’un seul.

Il y a ainsi en l’homme les réponses aux questions humaines, dans les situations humaines et ce dans l’articulation des personnes et des communautés de personnes.

2 – Une compréhension du bien de l’homme, du Sens de son accomplissement, de son évolution et ses étapes, de son développement et des conditions de sa maturation, de son discernement et de son autonomisation.

De ce fait l’Humanisme Méthodologique éclaire les questions éthiques, celle des finalités humaines, celle de valeurs indicatrices du Sens du bien commun, celle aussi des déviances humaines. Il se confronte aux propositions, révélations, indications si nombreuses dans l’histoire humaine et si multiples dans la période contemporaine.

La connaissance des étapes de l’évolution humaine tant sur le plan personnel, celui des communautés humaines et celui des civilisations permet de tracer des voies du développement humain à toutes ces échelles et d’en envisager ensuite les moyens.

Tous les domaines de l’existence humaine, toutes les situations et les affaires humaines sont alors à comprendre sur une trajectoire d’évolution humaine et pas seulement leur fonctionnement ou la satisfaction des besoins. La façon de poser les problèmes et d’élaborer des projets en dépendra.

3 – Le  «méthodologique» que l’on peut comprendre comme, systématique, méthodique, se traduit par une ingénierie des phénomènes et situations humaines.

L’Humanisme Méthodologique c’est aussi une théorie de l’action humaine, de nature humaine assortie des instruments, disciplines, et méthodes pour traiter les affaires humaines dans le Sens du bien commun pour chaque situation. Comprendre les situations et poser les problèmes implique une position humaine adéquate. Discerner le Sens des phénomènes, toujours humain, réclame une discipline particulière. Déterminer le Sens selon lequel agir et à partager suppose une maturité suffisante. Imaginer, concevoir, conduire les processus de réalisation pertinents est la mise en oeuvre de capacités humaines individuelles et collectives encore peu sollicitées.

La reconnaissance et la mobilisation de nouvelles capacités humaines est identifiée comme l’exercice d’une «intelligence symbolique» ou intelligence du Sens. C’est le recours au Sens (toujours humain) qui rétabli la raison dans son statut de dimension de l’expérience humaine et non de cause agissante ou explicative par elle-même.

De là des pratiques qui portent sur les finalités et les dynamiques humaines, interviennent dans les phénomènes humains ou même les suscitent dans tous les registres et notamment affectifs, matériels, intellectuels, relationnels…

De là des conceptions renouvelées et des méthodes possibles pour toutes les affaires humaines comme le politique avec ses principes de gouvernance démocratique, l’économie comme phénomène toujours communautaire, l’éducation qui est l’entreprise du grandir dans l’existence, le développement individuel et collectif qui mobilise les potentiels humains pour en faire évoluer les conditions d’existence en même temps que la maturité et toutes les entreprises et projets, toujours de nature humaine.

On notera que les réflexes acquis d’une compréhension mécaniste de l’action, de la raison réfléchissante et opérante font obstacle à une appropriation humaine de l’agir dans ses conditions, finalités et modalités. Mais c’est aussi un problème humain de même que l’invocation de puissances ou encore celle de formes abstraites agissantes imaginées.

Pour approfondir ce qu’est l’Humanisme Méthodologique avant d’en entreprendre la connaissance quelques textes se trouvent à cette adresse :

Identification de l’Humanisme Méthodologique

 

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002 – Pourquoi un nouvel humanisme ?

Deux types de raisons y invitent. D’une part la défaillance constatée de la référence à un humanisme quelconque pour traiter les problèmes humains dans ce temps de mutation. D’autre part l’ouverture d’une conscience et de possibilités nouvelles avec l’entrée dans un nouvel âge d’humanité où différents visionnaires ont vu l’avènement d’un âge de l’homme, d’un âge de l’esprit.

Parmi les défaillances la première est celle de l’incomplétude des visions et propositions. Pas d’humanisme sans les trois piliers : conception explicite de l’homme, conception du bien de l’homme en conséquence, proposition cohérente de l’agir humain dans les affaires humaines. Les déclarations du bien nécessaire se passent souvent de dévoiler les conceptions implicites de l’homme. L’efficacité pratique emprunte des méthodes sans liens avec les déclarations éthiques. Des conceptions du monde et de l’homme ne disent pas quels maux humains elles préparent au nom d’un humanisme, quelques fois le masque d’un antihumanisme à peine voilé.

La seconde est la réduction de l’humanisme à une dimension de l’expérience humaine clivée d’avec les autres. Par exemple un humanisme sentimental des bons sentiments, un humanisme «moral» du bien faire traditionnel, un humanisme idéologique des idées et formules idéales, un humanisme social des bonnes relations conventionnelles. Leur cohérence est une exigence humaniste, pas leur suffisance. Brave bête, bon instrument, beau parleur, gentille personne ne font pas à eux seuls des hommes de bien, humanistes.

Viennent maintenant les trois grandes plaies de l’humanisme contemporain.

Le matérialisme d’abord soumet l’homme aux seules contraintes de la nécessité et de l’adversité dont le bien c’est de se soumettre aux premières et de se défendre contre la seconde. Le bien de l’homme est manichéen, la lutte contre le mal, fatale et inéluctable. Primo Lévi avec «Si c’était un homme» montre le parallèle entre le traitement de la matière par le chimiste qu’il était et la réduction à la matière subie dans les camps. Le vide intérieur de son escalier a été l’issue fatale de son expérience. Et on dit que l’humanisme c’est la lutte contre le mal, l’autre bien sûr. La notion humaine d’altérité est absente de cette logique.

Le rationalisme déclare que tout s’explique par la raison, universelle, qui s’impose à tous. La normalité est le critère du bien et le conformisme sa méthode. Si les Lumières ont pensé que la raison et sa culture étaient la voie de l’émancipation de l’individu d’avec les dogmes et emprises de l’ignorance, c’est une déviance que d’avoir évacué le libre arbitre. Après tout, avoir mis la raison au-dessus de l’homme jusqu’à en faire une divinité relayée par la sacralité scientifique, juridique ou administrative est d’un anti-humanisme caractérisé.

L’individualisme déclare souverain le bon vouloir et privilèges dus, les droits revendiqués. Déviance de l’individu et de son chemin de maturation et d’apprentissage de l’humanité, il se trouve des alliés pour justifier par des calculs rationnels la recherche de bénéfices matériels illimités. La spéculation est sa logique, domestique, relationnelle, corporatiste, professionnelle, institutionnelle. On y cultive un humanisme de la bonne conscience et de la spéculation morale.

Protestant chacune de son humanisme ces logiques réduisent l’homme à une inhumanité radicalement anti-humaniste. Le respect des dimensions matérielles, rationnelles, individuelles sont, elles, parties prenantes d’un véritable humanisme.

Il serait possible d’invoquer aussi les «valeurs» dont le maniement révèle d’un évitement de toute profondeur, profondeur humaine, pour justifier autant de dénis d’humanité.

Mais qu’est ce que l’humanité, l’humanité de l’homme qui explique et justifie un devenir, un bien individuel et collectif un bien commun et en même temps personnel. C’est la condition pour savoir comment s’y prendre au travers de toutes les affaires de l’existence ou du moins de s’y efforcer.

Nous sommes dans un temps de mutation où s’ouvrent de nouvelles configurations de la condition humaine qui renvoient à la question de sa nature, de son devenir, de ses enjeux et pratiques. Ce questionnement est acte d’humanité. Il ouvre sur un temps que Michel Serres appelle «hominescence» considérant que le monde qui vient est de part en part de nature humaine. Les réseaux relationnels communautaires, la quête de modes de gouvernance démocratique, d’autonomie responsable des communautés et des personnes, la reconnaissance des différences comme principe des communautés majeures, l’intégration des valeurs communes dans l’évaluation de la valeur des choses sont autant de champs d’aspiration humaine.

Disons par anticipation que la conscience de soi de l’humanité en chacun et dans les communautés humaines, franchit un nouveau pas. Celui de l’accès à la conscience individuelle a été le pas précédent, l’accès au Sens humain, au Sens du bien commun celui de la mutation en cours. Il ne faut pas que les crises, les résistances, les troubles, les inquiétudes, les diversions nous empêchent d’engager l’avenir comme une histoire humaine. Pour cela il nous faut un nouvel humanisme que beaucoup on attendu. Ce nouvel humanisme doit être fondé sur une conception de l’homme qui rende compte aussi de la multiplicité des conceptions et logiques de son histoire et son actualité. Ce nouvel humanisme doit expliciter ce qu’il en est d’un accomplissement possible qui rende compte aussi des figures qui lui ont été données. Ce nouvel humanisme doit construire les méthodes et pratiques de l’agir humain qui vise à construire le bien humain dans tous les domaines de l’existence.

Ce nouvel humanisme ne doit être ni un angélisme qui ignore les anti-humanismes et les maux associés, ni une spéculation qui se voudrait plus intelligente que les autres, ni un édifice rationnel artificiel mais l’expression d’une expérience humaine de l’humanité qui relit les situations humaines, leur Sens, et les voies et moyens de vivre ensemble une nouvelle marche d’humanité. Cet humanisme n’invente rien mais le découvre déjà là, il ne se contente pas de comprendre mais assume la liberté responsable à laquelle les hommes sont appelés. Il ne jette rien de l’expérience humaine mais en discerne les sources, les enjeux et les voies du bien humain dans chaque situation, anciennes ou nouvelles.

L’Humanisme Méthodologique est de cette nature.

lire aussi : Le choix de l’Humanisme Méthodologique

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001 – Qu’est-ce qu’un humanisme ?

Dans la période actuelle, l’humanisme est souvent déclaré comme l’antidote des maux de notre époque. Il constitue une figure du bien par opposition aux manques d’humanité. Sur un autre versant le recours à un humanisme salvateur rappelle les Lumières, la Renaissance, et d’autres sources spirituelles ou philosophiques traditionnelles? On enregistre aussi cette déclaration de vouloir recentrer sur l’homme ce qui sans doute s’en était éloigné ou d’en faire la priorité.

Seulement évocations et invocations incantatoires semblent quelques fois le seul horizon. Comment se fait-il ? Qu’est ce qui change ? Pour comprendre l’humanisme méthodologique et ses propositions radicales, il faut déjà méditer sur ce qu’est un humanisme. Nous ne ferons pas un inventaire des thèses historiques mais poursuivront une interrogation méthodique.

D’abord un humanisme doit viser le bien de l’homme. C’est une attitude de considération et d’engagement vis-à-vis du bien de l’homme. La première question c’est qu’est ce que le bien de l’homme. Si les versions divergent alors la conception de l’humanisme aussi.

L’humanisme se place donc sur le terrain des valeurs mais quelles valeurs, que sont les «valeurs humaines» ? Chacun verra l’humanisme de sa fenêtre et les pires conflits ont pu l’être entre des humanismes divergents.  Il faut donc expliciter les valeurs, ce qu’est le bien de l’homme. Les philosophies les plus contradictoires, toutes argumentées, sont à notre disposition. Mais pour comprendre il est nécessaire de savoir de quel homme il s’agit, de quelle conception de l’homme. On ne peut définir le bien de l’homme sans se référer implicitement à une conception de l’homme et donc aussi de son devenir.

  • Si l’homme est un simple organisme ou mécanisme, complexe certes, alors son bien est sans doute dans son bon fonctionnement et peut-être sa continuité.
  • Si l’homme est un animal alors son bien est celui des animaux, subsistance et préservation, tranquillité et sécurité par tous les moyens appropriés, ceux des loups ou des agneaux comme disent les fables.
  • Si l’homme est un être spirituel alors son bien doit être lié à sa conscience et à sa liberté d’esprit.

Il faut aussi distinguer le bien selon les finalités et ce qui est bon pour les atteindre, c’est-à-dire des conditions bonnes mais qui ne suffisent pas.

L’humanisme se défini par une conception de la condition humaine et du devenir qui lui est inhérent.

On peut penser au bien être, de l’ordre du sentiment, du ressenti ou du vécu. On peut penser au bien faire, de l’ordre de l’utilité ou de l’efficacité dans l’existence. On peut penser aux idées, images, savoirs, modèles qui servent à bien vivre, anticiper et régler les engagements humains. On peut penser aussi au discernement et à la maîtrise de son devenir en rapport avec les autres dans les relations et les rôles de responsabilités.

On devine que si on privilégie une seule dimension sans les autres, la visée du bien risque d’en pâtir. Si on en manque une il s’agit soit d’une défaillance due à une maturation pas encore suffisante ou alors à une déviance liée à quelque problème personnel ou collectif.

On voit que l’humanisme concerne toutes les choses de la vie humaine selon la conception de l‘homme et de son bien.

Mais il ne faut pas en rester aux conceptions. L’humanisme est aussi un engagement dans une manière de traiter les affaires humaines qui, par définition, sont liées à la nature de l’homme et de la condition humaine et aussi à la visée du bien et ses traductions dans l’existence. Accepterait-on qu’un humanisme nous disent le plus grand bien de l’homme (que nous sommes ou devrions être), en nous expliquant que nos objectifs et nos moyens et méthodes ressortissent de lois et de mécanismes qui ne dépendent absolument pas de nous (les lois de la nature des choses).

C’est pourtant la situation actuelle de l’humanisme d’autant plus impuissant qu’il néglige ces trois piliers : la connaissance de ce qu’est l’homme, le discernement du bien de l’homme qui s’en déduit, la façon (humaine) de traiter les affaires humaines selon des méthodes cohérentes avec ce qui précède.

Les humanismes, tel qu’ils sont trop souvent proposés sont comme des trépieds auquel il manque un pied ou deux ou dont les trois ne sont pas reliés entre eux.